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Les mauvais perdants en démocratie : 

refus de la défaite et crises post-électorales

Les réticences de Trump à concéder sa défaite lors de l’élection présidentielle américaine de 2020, l’assaut de ses partisans sur le Capitole le 6 janvier 2021, ainsi que celui des partisans de l’ex-président Bolsonaro sur les principaux lieux du pouvoir brésilien en janvier 2023, posent la question du refus de l’alternance, de la contestation politique et juridique des résultats électoraux et des crises politico-institutionnelles qui peuvent en découler.

À travers la notion de « mauvais perdant », ce deuxième numéro de la revue Nomopolis se donne donc pour but d’interroger les modalités et les enjeux de ces séquences qui voient les candidats, les partis ou les électeurs rompre avec le fonctionnement normé et pacifié de la démocratie libérale. Il est possible pour cela de s’appuyer sur le concept d’« élections contestées » ou « disputées » caractérisées par « des contestations qui remettent en cause, à divers degré d’intensité, la légitimité des acteurs électoraux, des procédures et des résultats » (Norris, Franck et Martinez i Coma, 2015).

Plusieurs angles d’analyse pourront dès lors être abordés.

  1. Le premier pourra concerner les facteurs explicatifs de la contestation post-électorale. Ainsi, on peut s’interroger sur le lien entre l’ancienneté des institutions démocratiques et le consentement à la défaite (Anderson et Mendes, 2006). De même, la nature du résultat (s’il est serré, voire inattendu) peut contribuer à sa mise en cause (Mongrain, 2023). Plus largement, raisonner en termes d’écart de satisfaction entre gagnants et perdants (winner-loser gap) pourrait être éclairant (Nadeau, Daoust et Dassonneville 2023) : l’absence de régularité dans l’alternance, de perspectives de coalitions (dans les systèmes non-consensualistes) ou de mandats de « replis » (à l’échelle locale), de même que l’absence de droits de l’opposition, sont autant d’éléments susceptibles de maximiser l’insatisfaction vis-à-vis de la défaite (Gandrud, 2012).
  1. Un second angle interrogera les répertoires de contestation. Il s’agit d’explorer la palette des modalités de rejet des résultats électoraux (Chernykh, 2014) : protestations médiatiques, boycott du deuxième tour, refus de siéger, recours contentieux devant une cour électorale ou constitutionnelle (Erlich, Kerr et Park, 2019 ; Hernandez-Huerta, 2017), appels à des manifestations pacifiques ou à des démonstrations de force, violences et crises institutionnelles, par exemple en cas de tensions sécessionnistes. Il sera intéressant d’examiner ici les caractéristiques sociologiques des contestataires : existe-t-il des « entrepreneurs de contestation » et de recours qui en font le moteur de leur carrière (Gallardo et Louault, 2019) ?
  1. Un troisième angle s’intéressera en priorité à la dimension juridique de cette contestation. On pourra ainsi examiner les différents types de recours contentieux devant une cour électorale ou constitutionnelle (Erlich, Kerr et Park, 2019 ; Hernandez-Huerta, 2017), en analysant par exemple les résultats de ces procédures sous forme quantitative ou en étudiant la place spécifique du juge et de sa proximité au pouvoir. Mais il sera également intéressant d’étudier l’usage ou le détournement des règles électorales afin de neutraliser l’opposition, d’autoriser une candidature initialement interdite par la constitution ou d’empêcher une défaite (par exemple dans les cas de Bukele au Salvador et de Sall au Sénégal). Là encore, le rôle du juge constitutionnel pourra être particulièrement scruté (comme dans le cas de la révision constitutionnelle au Kenya en 2022).
  1. Un quatrième angle portera sur les conséquences de ces séquences sur le système démocratique. Si les élections participent de la pacification des antagonismes (Mouffe, 2013), alors il faut se demander dans quelle mesure le refus de la défaite va de pair avec une re-polarisation de l’espace public. L’action des « mauvais perdants » pourrait nourrir la méfiance envers le système électoral dans son ensemble (Hernandez-Huerta et Canu, 2022), voire signaler la désaffection envers la démocratie (Przeworski, 2009). Il faudra ici questionner le rôle spécifique des candidats ou partis dits « populistes » au prisme de la thèse du cultural backlash (Ingelhart et Norris, 2019) sans négliger certaines nuances, ces profils politiques n’étant pas systématiquement des « mauvais perdants » (Werner et Jacobs, 2021).

 Bibliographie :

Anderson Christopher J., Mendes Silvia M., « Learning to Lose: Election Outcomes, Democratic Experience and Political Protest Potential », British Journal of Political Science, 36, 1, 2006, 91-111.

Chernykh Svitlana, « When Do Political Parties Protest Election Results? », Comparative Political Studies, 47, 10, 2013, 1359–1383.

Erlich Aaron, Kerr Nicholas, Parka Saewon, « Weaponizing Election Petitions », Annual MPSA Meetings, Chicago, 2019 [en ligne].

Gallardo Myers Alfonso et Louault Frédéric, « La trajectoire contestataire d’Andrés Manuel López Obrador et l’élection présidentielle de 2006 au Mexique », in Pellen Cédric et Louault Frédéric (dir.), La défaite électorale, Rennes, PUR, 2019, 57-71.

Gandrud Christopher, « Two sword lengths apart: Credible commitment problems and physical violence in democratic national legislatures », Journal of Peace Research, 3, 51, 2016, 130-145.

Hernández-Huerta Victor, « Judging Presidential Elections Around the World: An Overview », Election Law Journal, 16, 3, 2017, 377-396.

Hernández-Huerta Victor, Cantu Francisco, « Public Distrust in Disputed Journals Elections: Evidence from Latin America », British Journal of Political Science, 52, 4, 2022, 1923-1930.

Inglehart Ronald, Norris, Pippa (eds), Cultural Backlash : Trump, Brexit, and Authoritarian Populism, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.

Mongrain, Philippe, « Suspicious Minds: Unexpected Election Outcomes, Perceived Electoral Integrity and Satisfaction With Democracy in American Presidential Elections », Political Research Quarterly, 2023 [en ligne].

Mouffe Chantal, Agonistics, London, Verso, 2013.

Nadeau Richard, Daoust Jean-François, Dassonneville Ruth, « Winning, Losing, and the Quality of Democracy », Political Studies, 71, 2, 2023, 483–500.

Norris Pippa, Frank Richard W., Martinez i Coma Ferran (eds), Contentious Elections, London, Routledge, 2015.

Przeworski Adam, « Why Do Political Parties Obey Results of Elections? », in Maravall José et Przeworski Adam (eds) Democracy and the Rule of Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 114-144.

Werner Hannah, Jacobs Kristof, « Are Populists Sore Losers? Explaining Populist Citizens’ Preferences for and Reactions to Referendums », British Journal of Political Science, 3, 52, 2022, 1409-1417.

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Le Comité de lecture examinera tous les articles abordant des cas contemporains ou historiques à partir des différentes branches du droit et de la science politique. Les approches comparatistes sont particulièrement encouragées.

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  • Les propositions seront évaluées par le Comité de rédaction qui rendra un premier avis.
  • Les articles définitifs devront ensuite respecter les modalités de soumission et être envoyés avant le 1er septembre 2024.
  • Les articles peuvent être en français ou en anglais.