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Le « populisme illibéral » saisi par les institutions politiques et administratives :
effets réciproques et logiques de contre-pouvoir
L’élection de chefs d’État ou de gouvernements qualifiés de « populistes » ou d’« illibéraux » est à l’origine de travaux sur les évolutions qu’ils suscitent ou accélèrent : redéfinition de l’équilibre entre les pouvoirs ; restriction et répression des mobilisations d’opposants ; remise en cause des droits des minorités ; marginalisation des médias critiques de leurs actions, etc. Les mandats de Trump aux États-Unis, de Bolsonaro au Brésil, d’Orbán en Hongrie ou encore de Modi en Inde renouvellent la réflexion sur les catégories de classement des régimes et sur les frontières entre systèmes politiques démocratiques et autoritaires (Levitsky et Ziblatt, 2018 ; Bonnard, Dakowska, Gobille, 2021). Toutefois, la relation inverse, à savoir l’effet des institutions sur des acteurs et forces politiques rejetant les principes et les procédures des démocraties libérales est moins questionnée. Pourtant, si les acteurs populistes œuvrent à la redéfinition du système politique, leur insertion dans le champ politique les oblige à négocier et à redéfinir une série de règles légales et des normes de comportement qui s’imposent à eux, au moins dans un premier temps. Ainsi, ils sont parfois freinés dans leur entreprise de redéfinition du système politique et du droit par d’autres pouvoirs ou institutions, qui réduisent plus ou moins temporairement leur capacité d’action.
Sur un plan juridique, ce dossier abordera cette question en s’intéressant spécifiquement aux contre-pouvoirs, à leur définition et à leurs actions. En droit, le pouvoir de l’État est confié à des organes distincts tous titulaires d’une part du pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire). Il semble alors peu correct de parler à leurs propos de contre-pouvoirs. Pourtant, c’est une vision qui se développe, notamment dans le contexte d’exécutifs cherchant à rétablir une unité du pouvoir à leur profit. On pourrait ainsi se demander si les usages abusifs du pouvoir agissent dès lors comme des révélateurs du statut de contre-pouvoir de certaines institutions, par exemple lorsque les Parlements ou les juges réagissent aux abus de l’exécutif. Là encore, l’illibéralisme pourrait apparaitre comme la source d’une transformation du statut d’institutions qui évoluent dans une logique d’effets réciproques.
Ce dossier s’adresse à la fois aux politistes et aux juristes et s’inscrit dans une perspective comparatiste. Il invite à revisiter le thème des évolutions illibérales des régimes à l’aune de l’étude de la relation réciproque entre les forces populistes et les institutions politico-administratives. Il vise à questionner le processus par lequel ces forces se saisissent et « sont saisies » par ces institutions, entendues comme les organes du pouvoir politique et l’ensemble des règles de droit qui régissent leurs rapports (Gicquel) ou, dans une perspective sociologique, comme les structures sociales stabilisées dans le temps (Dulong, 2012 ; Lacroix et Lagroye, 1992). En retour, il s’intéresse également aux transformations illibérales des institutions ou à leur résistance au pouvoir abusif (Perlo et Duffy-Meunier, 2025). Il entend ainsi prolonger une réflexion sur les mutations des institutions et des rôles institutionnels générées par l’entrée de « nouveaux » acteurs dans le champ politique, analyse davantage menée à partir des élus et forces socialistes à travers le monde (Lefebvre, 2004 ; Rocha, 2008) et plus ponctuellement, des extrêmes droites (Collovald, 1989, Sauandaj, 2025).
Les propositions pourront s’inscrire dans l’un des trois axes suivants :
1. Maîtrise du jeu institutionnel et évolutions du système politique
Le premier axe entend questionner les évolutions suscitées par les populistes à l’aune de leur trajectoire et de celle de leurs collaborateurs. Bien que plusieurs des représentants du populisme ou de l’illibéralisme se présentent comme des outsiders, ils sont rarement novices en politique, plusieurs ayant occupé des postes de direction partisane, des mandats politiques ou des postes de collaborateurs d’élus durant lesquels ils se sont familiarisés avec le système politico-institutionnel. Il s’agit donc d’interroger la relation entre leurs trajectoires et la manière dont ils exercent le rôle de chef d’État ou de gouvernement. Les institutions sont-elles investies de la même façon lorsque ces acteurs ont été socialisés au jeu politique dans un parti ou en exerçant un ou plusieurs mandats, et lorsqu’ils construisent leur notoriété dans d’autres espaces sociaux ? Leur inégale maîtrise des normes institutionnelles influe-t-elle sur leur pratique du pouvoir ? Selon les caractéristiques des champs politiques étudiés, en particulier la plus ou moins grande autonomie des institutions politiques à l’égard des mondes socio-économiques, les chefs d’État et de gouvernement ont-ils la même capacité à redéfinir les relations entre les pouvoirs et les normes institutionnelles ?
2. Résistances des institutions et contre-pouvoirs
Le deuxième axe porte sur les actions et les stratégies adoptées par les institutions et acteurs ciblés par les critiques et attaques des représentants populistes pour maintenir une influence ou contester les restrictions qui leur sont imposées. On pourra ainsi interroger l’efficacité des institutions et contre-pouvoirs à éviter le détournement des pouvoirs vers l’autoritarisme. L’échec de certaines politiques autoritaires est-il dû à l’action de ces contre-pouvoirs, et si oui laquelle ? À quelles conditions les pouvoirs judiciaires réussissent-ils, ou non, à maintenir une certaine autonomie d’action ? Plus globalement, au-delà des seules institutions étatiques, on pourra aussi examiner le rôle des autres personnes publiques, autorités administratives indépendantes, institutions locales, universités, etc.
Au-delà des personnes publiques, quels sont les contre-pouvoirs à l’œuvre dans la société et comment réagissent-ils aux politiques illibérales ? Il s’agira, notamment, de se demander si la presse parvient encore à jouer ce rôle alors que son indépendance est remise en cause par l’État lui-même. On pense aux normes qui viennent limiter la liberté d’expression, à celles qui la dérégulent (comme la remise en cause de la fairness doctrine sous Reagan), à celles qui limitent la protection des journalistes ou remettent en cause l’indépendance financière. Si l’action de résistance de la presse décroît, est-elle compensée par l’émergence des réseaux sociaux ? Leur force de mobilisation constitue-t-elle un atout dans la lutte contre les pouvoirs abusifs ou une arme entre leurs mains ?
3. Temporalités et évolution du système politique et des institutions
Cet axe vise à ancrer l’analyse des évolutions illibérales dans un questionnement sur les temporalités de l’exercice du pouvoir (Marrel et Payre, 2018). La fragilisation des systèmes démocratiques dépend-elle du nombre de mandats exercés et par conséquent, du temps passé au sommet de l’État ? Des transformations substantielles sur le court terme sont-elles observables et si oui, de quelle nature ? Comment penser la relation entre les discours antidémocratiques et les évolutions des relations institutionnelles ? Enfin, les évolutions illibérales sont-elles remises en cause par les alternances, lorsque les chefs d’État et de gouvernement populistes ne se maintiennent pas au pouvoir ?
Concernant les institutions entendues sous un angle juridique, la question de leur transformation afin de faire face à une atteinte ou une menace peut également constituer un angle de réflexion. Si l’atteinte a pu être surmontée ou évitée, on pourra se demander si le droit en a tiré les conséquences : modification des Constitutions pour prévoir une procédure nouvelle permettant d’éviter la réalisation de la menace ; nouvel encadrement législatif de l’activité, notamment celle des partis politiques. De même, la réaction face au risque de voir le droit national et même le droit constitutionnel façonné par les idéologies abusives a-t-elle pu, comme en Belgique ou au Luxembourg, consister en une affirmation du rôle des normes européennes ou internationales dans la protection de l’État de droit ?
Enfin, il sera intéressant de questionner la capacité de l’État de droit de se réinstaller après une période d’illibéralisme, sans se dévoyer (on pense aux purges des magistrats nommés par le pouvoir illibéral, mais qui porteraient atteinte à l’Indépendance de la Justice, ou à la reprise de contrôle des médias).
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Date de remise des propositions et des articles :
- Les auteur.es intéressé.es peuvent envoyer leurs propositions d’articles (une page) d’ici le 1er février 2026 à l’adresse : contact.nomopolis@gmail.com
- Les propositions seront évaluées par le Comité de rédaction qui rendra un premier avis.
- Les articles définitifs devront ensuite respecter les modalités de soumission et être envoyés avant le 1er mai 2026.
- Les articles peuvent être en français, en anglais ou en espagnol
