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Nomopolis 3

 

Indigenous Peoples and Mobility 

December 2025

Edited by Florian Aumond, Pablo Barnier-Khawam et Erwan Sommerer

Table of contents

Florian Aumond et Pablo Barnier-Khawam


Dawn Chatty

Mobile indigenous peoples (e.g. pastoralists, swidden farmers, and hunter-gatherers) have sustainably managed the lands they lived on for centuries. However, throughout the modern era and especially in recent decades, many have been displaced, dispossessed, and expelled from their traditional territories, forced to settle, and prevented from practising the forms of mobility upon which their livelihoods and social systems are based. These restrictions have left many destitute and have disrupted the cultural foundations of mobile indigenous identities. While the explicit aims of settling mobile peoples are no longer stated in the rhetoric of conservation and development, practical steps toward land restitution and mobility rights have not been forthcoming. Policy has not kept pace with advances in thinking about the relationship between mobile peoples, the state, and territory. Nor do states and international actors often live up to public declarations of concern for the human rights of mobile peoples. This article  explicitly articulates the policy documentation in the Dana Declaration and the Dana + 20 manifesto  which sets out to define and defend the rights of Mobile Indigenous Peoples. Yet even as rights holders, mobile  indigenous  peoples continue to be marginalised in policy and in practice. The problem for Mobile Indigenous Peoples is not that their rights are not beginning to be recognized by international human rights law but that these rights are not adequately upheld by national policies and laws and are often not respected by conservation agencies and corporate investors.

Dawn Chatty

Les peuples autochtones mobiles (par exemple, les éleveurs, les agriculteurs pratiquant la culture sur brûlis et les chasseurs-cueilleurs) ont géré de manière durable les terres sur lesquelles ils vivaient depuis des siècles. Cependant, tout au long de l’ère moderne, et en particulier au cours des dernières décennies, beaucoup ont été déplacés, dépossédés et expulsés de leurs territoires traditionnels, contraints de s’installer et empêchés de pratiquer les formes de mobilité sur lesquelles reposent leurs moyens de subsistance et leurs systèmes sociaux. Ces restrictions ont laissé beaucoup d’entre eux dans le dénuement et ont perturbé les fondements culturels des identités autochtones mobiles. Si les objectifs explicites de sédentarisation des peuples mobiles ne sont plus énoncés dans le discours sur la conservation et le développement, aucune mesure concrète n’a été prise en faveur de la restitution des terres et des droits à la mobilité. Les politiques n’ont pas suivi les progrès de la réflexion sur les relations entre les peuples mobiles, l’État et le territoire. De même, les États et les acteurs internationaux ne sont souvent pas à la hauteur de leurs déclarations publiques concernant les droits humains des peuples mobiles. Cet article expose clairement les documents politiques contenus dans la Déclaration de Dana et le manifeste Dana + 20 qui visent à définir et à défendre les droits des peuples autochtones mobiles. Pourtant, même en tant que titulaires de droits, les peuples autochtones mobiles continuent d’être marginalisés dans les politiques et dans la pratique. Le problème pour les peuples autochtones mobiles n’est pas que leurs droits ne commencent pas à être reconnus par le droit international des droits de l’homme, mais que ces droits ne sont pas suffisamment respectés par les politiques et les lois nationales et sont souvent bafoués par les agences de conservation et les investisseurs privés.

Jérémie Gilbert

This article analyzes developments in international law relating to the rights of mobile and nomadic peoples. It begins by presenting a detailed overview of the legal situation of these communities, highlighting the urgent need for international engagement that is adapted to their realities. The article then offers a critical analysis of the response of international law to the violations suffered by these groups, highlighting the limitations of an approach focused exclusively on the rights of mobile indigenous peoples. The 2024 report of the United Nations Special Rapporteur on the rights of indigenous peoples, which focuses on mobility, is a notable exception in international law. As a general rule, nomadic peoples remain largely invisible in this legal system, which tends either to ignore them or to marginalize them by favoring norms that promote sedentary lifestyles.

Jérémie Gilbert

Cet article analyse les évolutions du droit international relatives aux droits des peuples mobiles et nomades. Il présente d’abord un panorama détaillé de la situation juridique de ces communautés, en soulignant l’urgence d’un engagement international adapté à leurs réalités. L’article propose ensuite une analyse critique de la réponse du droit international face aux violations subies par ces groupes, en mettant en évidence les limites d’une approche centrée exclusivement sur les droits des peuples autochtones mobiles. Le rapport de 2024 du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, axé sur la mobilité, constitue une exception notable en droit international. En règle générale, les peuples nomades restent largement invisibles dans ce système juridique, qui tend soit à les ignorer, soit à les marginaliser en privilégiant des normes favorisant la sédentarité.

Adib Bencherif et Audrey Tremblay

Cet article s’inscrit dans une démarche historique dite « post-sédentaire » visant à appréhender l’agentivité des communautés touarègues nomades lors de la colonisation française dans le Sahara algérien (1902-1962) et au cours de la période postcoloniale (1962-2025). Il cherche plus spécifiquement à offrir des pistes de réflexion sur l’idée d’une résistance coloniale de ces communautés autochtones à travers le mouvement, mais aussi d’une capacité d’adaptation dans les relations négociées au cours de la période postcoloniale. La résistance et l’adaptation s’articulent autour de compromis, négociations et oppositions entre visions distinctes de la mobilité et de la territorialité. Les Touaregs tentent de conserver leur liberté de mouvement pour accéder aux ressources éparses, alors que les autorités coloniales cherchent à délimiter le territoire pour affirmer leurs droits de propriété. Une conflictualité entre les deux groupes d’acteurs s’installe donc autour de la tension entre accès et possession des ressources. Dans le cas de la période postcoloniale, des jeux de négociations s’installent et de nouveaux équilibres sont atteints, fruit d’une articulation bricolée entre codes nomades et réalités sédentaires. Par une analyse documentaire approfondie des Archives nationales d’outre-mer (archives coloniales françaises), cet article entend mettre en lumière des capacités de réaction autochtone jusqu’alors peu explorées qui émergent des logiques d’opposition entre communautés nomades et administration coloniale. Puis, la période postcoloniale sera étudiée à travers les observations et entrevues collectées lors d’enquêtes ethnographiques réalisées dans le Sahara algérien, dans la région du Hoggar, au cours de deux terrains de recherche entre février et avril 2024 ainsi qu’entre janvier et mars 2025.   

Luc Leriche

L’article examine les obligations secondaires des États en matière de réparation lorsque leur conduite est à l’origine du déplacement forcé d’un ou plusieurs peuples autochtones. Les évolutions contemporaines du droit international mettent en lumière la nécessité pour les États d’appliquer des mesures de réparation culturellement adaptées qui prennent en considération le mode de vie des peuples concernés ainsi que la nature spécifique des dommages qui leur ont été causés. La mise en œuvre de ces mesures reste cependant imparfaite du point de vue des peuples autochtones déplacés, ce qui invite à repenser le modèle compensatoire existant.

Marquisar Jean-Jacques

The Kali’na are an Indigenous, Carib-speaking people settled along the Guiana coast between Venezuela and Brazil. European colonization and the creation of modern borders fragmented their ancestral territory, particularly affecting those communities along the Lower Maroni River, which today marks the official border between Suriname and French Guiana, an overseas department of France. While the river functions as a political border between these two states, Kali’na people experience it as a connective space linking families, places, and histories. For centuries, Kali’na communities have developed a way of life based on networks of matrimonial alliances, collective land ownership, shamanic cosmovision and mobility. Their mobility has created a multi-sited way of inhabiting space that challenges state control of territory and has enabled them to adapt to the world’s most dynamic muddy coastal environment. Since the mid-20th century, sedentarization pressures have grown as Kali’na communities became citizens of nation-states. Yet their mobility persists within and beyond the Lower Maroni region and remains central to cultural continuity and resilience. Drawing on recent ethno-geographic research, this article highlights how Kali’na mobility encompasses intertwined and overlapping experiences in which the coast, rivers, social networks and political contexts simultaneously function as both supports and drivers of circulation. People’s lives are paced by periods of voluntary and involuntary mobility, making movement a defining and enduring feature of Kali’na existence and reinforcing an underlying common experience of mobility.

Delphine Leroy, Izabel Galvao, Marsitela Aquino Insfran, Anastacio Peralta et Sandra Ventura Domingo Cândido

Cet article propose un retour d’expérience à propos d’un programme de mobilités destiné à des doctorant·es autochtones du Brésil. Il s’appuie sur le séjour de trois doctorant·es en géographie de l’Université Fédérale de la Grande Dourados – dans l’État brésilien du Mato Grosso do Sul – accueillis à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, au sein du Laboratoire Interculturalités, Apprentissages, marGes, Expériences (LIAgE), entre septembre 2024 et février 2025. Croisant les points de vue des chercheur·es en mobilité et celui de chercheuses de l’équipe d’accueil, ce texte interroge, dans un exercice de co-écriture, les apprentissages produits par cette expérience, pour les personnes en déplacement et celles qui les ont accueillies. Pour les premières, derrière une mobilité académique « individuelle », il s’agit en réalité d’une expérience collective car les enjeux territoriaux et d’invisibilisation des peuples autochtones auxquels elles appartiennent – Guarani Kaiowá et Terena – se maintiennent présents et actifs durant le vécu du séjour d’études et les apprentissages qui en résultent. Pour les deuxièmes, cette expérience d’accueil renforce l’idée que l’université s’enrichit avec l’ouverture à des formes de savoirs autres une fois qu’ils sont pris en compte en dehors de tout rapport de minorisation, dépassant les hiérarchies instituées par les rapports de colonialité.

Carolina Sánchez García

En este artículo se analizan, desde un enfoque antropológico teórico conceptual, los efectos que la migración, la movilidad y su condición de multisitualidad imponen sobre la etnicidad y la cultura de la población indígena mexicana en el contexto de la globalización, caracterizada por el incremento en los movimientos poblacionales. El objetivo es comprender los fenómenos socioculturales que emergen de estas realidades, en las que están inmersos los sujetos colectivos. La investigación parte de un análisis documental, que incorpora las propuestas de diversos autores: Marcus (2001), quien propone la “etnografía multilocal” para el estudio de la población multisituada; TishKov (1997), redefine el concepto de etnicidad más allá de una noción primordial; Dietz (2017), aborda los procesos interculturales e intraculturales de los sujetos colectivos; Giddens (1984), que introduce el concepto de “rutinización” para referirse a la gestión de la continuidad cultural; Auge (2007), quien hace notar la desigualdad inherente a la globalización. Se emplea una metodología mixta, cuantitativa y cualitativa

Marck Pépin

Depuis la mise en œuvre des réserves et l’établissement des pensionnats indiens au Québec, les Innus, peuple autochtone de la péninsule Québec-Labrador, se retrouvent assujettis à l’ordre juridico-politique imposé par l’État fédéral. De tradition nomade, parce que leur pas suivait les mouvements des autres qu’humains – animaux, végétaux, entités maîtres des animaux, ancêtres et enfants à venir –, les Innus furent contraints à une sédentarisation forcée, porte d’entrée d’une assimilation culturelle. Nous souhaitons, par une mise en perspective historique et une double analyse anthropologique et géographique, proposer une lecture du processus de contrôle territorial par le pouvoir colonial. Là où le principe de sédentarité repose sur un mode de vie où les humains façonnent un espace strictement humain, elle institue en creux le dualisme entre nature et culture, non-humains et humains, qu’elle transpose en symétrie spatiale nomade-sédentaire. En suivant le fil de la corporalité, nous suggérons enfin que les Innus furent soumis à une domination ontologique sur leur corps, désormais colonisé. Mais ce corps, pris dans l’assignation, peut devenir le lieu d’une mobilité persistante, vectrice d’un contre-pouvoir face aux dynamiques territoriales imposées.

Image : CC BY-SA – Luis Miguel Ángel Cano Padilla