Contentieux post-électoral et désobéissance civile
comme registres de contestation du résultat
de l’élection présidentielle d’octobre 2018 au Cameroun
Ateba Arnold Martial
Résumé
Au lendemain de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018, Maurice Kamto, candidat du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) se déclare vainqueur, lançant ainsi une polémique sur le résultat attendu, avant le dépôt devant le Conseil Constitutionnel de dix-huit recours en annulation. Le 16 octobre 2018, s’ouvre un contentieux post-électoral médiatisé porté par Cabral Libii (PCRN), Joshua Oshi (SDF) et Maurice Kamto (MRC). L’échec des opposants audit contentieux entraîne une mutation de l’arène conflictuelle passant du Conseil Constitutionnel à la rue. Des opposants sont arrêtés et incarcérés. Cette étude explore, suivant la perspective de sociologie politique du droit, les modalités de rejet du résultat de l’élection présidentielle de 2018. Attentive aux rapports entre droit et légitimité, elle montre comment le juridique fournit des arguments aux hommes qui s’opposent dans la compétition politique et en quoi il est un registre d’action qui mérite d’être intégré au répertoire de la contestation politique. Recourant à l’approche interactionniste du pouvoir, elle montre comment le droit est mobilisé comme instrument permettant de faire triompher l’opposition dans sa stratégie de délégitimation de l’élection du président sortant. Le contentieux post-électoral apparait ainsi comme une arène mettant en scène l’expression des partis politiques, procédant à une scénographie du procès de l’État stationnaire et dénonçant l’interprétation du droit par un Conseil Constitutionnel soupçonné de connivence avec le groupe gouvernant. L’analyse documentaire, les plaidoiries médiatisées devant le Conseil Constitutionnel et le suivi du déroulement des marches de protestation donnent à penser que la désobéissance civile qui suit l’élection de Paul Biya, porte la controverse autour de l’interprétation du droit de manifester dont l’interdiction met en lumière, aux yeux des opposants, l’absence de fairplay des gouvernants qui visent à imposer, sous-couvert du maintien de l’ordre, un résultat illégitime.
Abstract
In the aftermath of the presidential election of October 07, 2018, Maurice Kamto, candidate of the Cameroon Renaissance Movement (CRM) claims to be the winner, sparking a controversy over the expected result. This was followed by the filing of eighteen appeals for annulment with the Constitutional Council. On October 16, 2018, a highly publicized post-election litigation began, led by Cabral Libii (PCRN), Joshua Oshi (SDF) and Maurice Kamto (CRM). The failure of the opposition in this litigation led to a shift in the conflictual arena from the Constitutional Council to the streets. Opponents were arrested and imprisoned. This study, using the perspective of the political sociology of law, explores the modalities of rejecting the results of the 2018 presidential election. Paying attention to the relationship between law and legitimacy, it shows how the legal system provides arguments for those who oppose each other in political competition and how it is a register of action that deserves to be integrated into the repertoire of political protest. Using an interactionist approach of power, it shows how law is mobilized as an instrument to enable the opposition to succeed in its strategy of delegitimizing the election of the incumbent president. The post-election litigation thus appears as an arena where political parties express themselves, staging a trial of the stationary state and denouncing the interpretation of the law by a Constitutional Council suspected of collusion with the governing group. Documentary data, publicized pleading to the Constitutional Council and monitoring of the street protest suggest that the civil disobedience that followed Paul Biya’s election focuses on the controversy surrounding the interpretation of the right to protest, the prohibition of which highlights for opponents, the lack of fair play by the government, which aims to impose, under the guise of maintaining order, an illegitimate result.
Citer cet article
Ateba, Arnold Martial. 2024. Contentieux post-électoral et désobéissance civile comme registres de contestation du résultat de l’élection présidentielle d’octobre 2018 au Cameroun. Nomopolis 2.
INTRODUCTION
Pour discuter du statut du perdant en démocratie au Cameroun, il faut s’inscrire dans le débat sur les élections pluralistes couplées au processus démocratique. La littérature relative aux élections fait état de « Concurrence déloyale, [de] coalitions de stabilité hégémonique [et de] politique d’affection » (Sindjoun 1997, p.89). L’argument majeur est celui de « la relativisation de la compétition électorale attestée en partie par la construction judiciaire des élections à transparence douteuse » (Sindjoun 1997, p.105) et « l’hypothèse envisageable » de « l’usage de la compétition électorale comme adaptation conservatrice de l’ordre dirigeant au pluralisme politique » (Sindjoun 1997, p.104 ; Minteu-Kadje et Premat 2019, p.6). Pour de nombreux chercheurs, cette coloration électorale est conforme à la nature « ambivalente » de la démocratie camerounaise (Owona Nguini et Menthong 2018). Pendant que certains la considèrent comme une démocratie « pastichée et simulée » ou « une autocratie déguisée » (Owona Nguini et Menthong 2018, p.100), d’autres la voient comme un « régime en plein épisode d’autocratisation » (Machikou 2022). Elle est assimilée à ce que Levitsky appelle « competitive autoritarism » (Levitsky and Lucan 2010, p.5; Shedler 2002, p.37) neutralisant toute velléité d’alternance au pouvoir grâce au Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (RDPC) (Owona Nguini 2004, p.13-14). Crée en 1983 et dirigé par un « maître présidentiel (Paul Biya) » (Moundounga 2013, p.151), ce parti politique a gagné chaque élection de l’ère pluraliste (1992, 1997, 2004, 2011 et 2018) et gouverné sans discontinuer depuis 1982 (Owona Nguini et Menthong 2018, p.99). Ce qui précède indique la structure dans laquelle s’est déroulée l’élection présidentielle du 07 octobre 2018, dont les résultats ont été contestés.
En effet, au lendemain de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018, Maurice Kamto, candidat opposant du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) donne une conférence de presse dans laquelle il affirme en être le vainqueur. L’acteur politique, qui semble préparer l’opinion à adhérer à la thèse d’une éventuelle fraude électorale en cas de proclamation du résultat en faveur du président sortant (Paul Biya), lance ainsi une polémique sur le verdict du résultat attendu. Il « invite le [candidat sortant] à organiser […] une transmission pacifique du pouvoir afin de mettre le Cameroun à l’abri d’une crise post-électorale » (« Maurice Kamto annonce sa victoire à la présidentielle 2018 », vidéo de 8 minutes 22 secondes, citée de la 4ème minute 28 secondes à la 5ème minute 20 secondes, consultée le 24 juin 2024). Ce discours d’alerte sur une probable crise post-électorale participe de l’élaboration d’un socle de délégitimation d’une potentielle victoire de Paul Biya, que l’opposition politique voudrait inculquer à une frange de l’opinion acquise à sa cause. Il se traduit, dès les 72 heures qui ont suivi l’élection, par le dépôt devant le Conseil Constitutionnel de dix-huit recours en annulation partielle ou totale. S’ouvre alors, le mardi 16 octobre 2018, un contentieux post-électoral couru et médiatisé[1], porté entre autres par Maurice Kamto (MRC), Cabral Libii (PCRN) et Joshua Oshi (SDF) qui ont respectivement obtenu 14,23, 06,28 et 03,35% de suffrages. L’échec des opposants audit contentieux ouvre la voie aux appels, par le MRC, à la « résistance » contre le « hold-up électoral ». La trajectoire contestataire des opposants passera du contentieux aux actes de désobéissance civile. Des marches dites blanches sont organisées et se soldent par des arrestations et emprisonnements d’opposants dont les plus connus sont Maurice Kamto, Fogue Alain, Michelle Ndocki, Célestin Ndjamen, Christian Penda Ekoka, Paul Eric Kingue. Pour le RDPC, cette démarche contestataire classe, ipso facto, le MRC dans la catégorie de « mauvais perdants ». Maître Atangana Amougou, avocat d’Elections Cameroon (ELECAM) le traduit en ses termes lors du contentieux devant le Conseil Constitutionnel :
« Il reste constant qu’en matière électorale, il y a ceux qui préparent l’élection et ceux qui préparent le contentieux électoral. Quels que soient les efforts consentis par ceux qui organisent l’élection, il y aura contentieux. Et l’amour du contentieux nous étreint tellement que parfois, on s’autoproclame élu (allusion faite au candidat du MRC, Maurice Kamto, qui s’est déclaré vainqueur de l’élection de 2018), mais on fait quand même le contentieux » (« Réponse de l’avocat d’ELECAM au MRC », suivre de la 59ème minute 40 secondes à la 60ème minute 18 secondes, vidéo de 1heure 03 minutes 05 secondes, consultée le 10 juin 2024).
Cette étude ambitionne d’explorer les modalités de rejet du résultat de l’élection présidentielle de 2018 au Cameroun. Elle suit et conforte l’argument de Déloye et Ihl suivant lequel,
« La compétition politique ne s’arrête pas avec la proclamation des résultats. Chaque scrutin comporte un troisième tour, celui où les concurrents s’essaient à renverser le sort des urnes. C’est la période […] des recours et des contestations. […] ces réclamations alimentent un contentieux qui est loin […] de ne réconcilier que mauvais perdants et mauvais joueurs » (Déloye et Ihl 2008, p.277).
Si dans le cas camerounais ici en étude, il est difficile de trouver des travaux consacrés au contentieux devant le Conseil Constitutionnel, des chercheurs se sont néanmoins appesantis sur le contentieux de l’élection présidentielle devant la Cour suprême qui siégeait auparavant et à titre intérimaire (entre le 18 janvier 1996 et le 7 février 2018) pour la cause. Etudiant la procédure contentieuse en matière électorale au Cameroun, Diane Mandeng (2017) soutient qu’elle garantit les droits civils et politiques des citoyens, mais s’avère insuffisante et inefficace face à l’office d’un juge électoral englouti par des contraintes tant sociopolitiques que professionnelles. Pour sa part, Luc Sindjoun pense que le contentieux de l’élection présidentielle anticipée du 11 octobre 1992 a mis la Cour suprême dans un dilemme. En tant qu’organe chargé de réguler la compétition électorale, elle « est intégrée dans l’ordre dirigeant » du fait que ses « hauts magistrats sont […] des hauts fonctionnaires ». Dans ces conditions, « peuvent-ils faire autre chose que justifier le statu quo et légitimer l’ordre dirigeant dont ils font partie ? » (Sindjoun 1994, p.23). La Cour suprême se trouve donc coincée « entre le marteau du pouvoir exécutif et l’enclume de l’opposition » (Sindjoun 1994, p.24). Le Conseil Constitutionnel camerounais n’est-il pas, au cours du contentieux post-électoral de 2018 dans la même situation ?
En tant que poursuite de la compétition politique devant le Conseil Constitutionnel, le contentieux post-électoral de 2018 sera analysé suivant la perspective de sociologie politique du droit (Commaille 1994). Particulièrement attentive aux rapports entre droit et légitimité, elle montre entre autres comment le juridique fournit des arguments aux hommes qui s’opposent dans la compétition politique (Corten 1998, p.358 ; 2002) et en quoi il est un registre d’action qui mérite d’être intégré au répertoire de la contestation politique (Israël 2009, p.13). Il est question de voir, grâce à elle et en mobilisant l’approche interactionniste du pouvoir, comment le droit, à travers le recours au Conseil Constitutionnel est mobilisé comme instrument permettant de faire triompher l’opposition dans sa stratégie de délégitimation de l’élection du président sortant. Ici, le contentieux post-électoral, contentieux de la légalité et de la légitimité, est une arène qui met en scène l’expression des partis politiques procédant à une scénographie du procès de « l’État stationnaire » (Eboko et Abondo 2018) et dénonçant l’interprétation du droit par un Conseil Constitutionnel soupçonné de connivence avec le groupe gouvernant. La collecte des données de ce travail s’est faite grâce à l’analyse documentaire, la presse écrite, les plaidoiries médiatisées du MRC, d’ELECAM, du RDPC, du Ministère de l’Administration territoriale devant le Conseil Constitutionnel ainsi que le suivi du déroulement des marches de protestation. Elle donne à penser que la désobéissance civile sous fond de démonstration de force qui suit la confirmation de l’élection de Paul Biya, et l’échec des attentes liées aux décisions du Conseil Constitutionnel, portent la controverse autour de l’interprétation du droit de manifester, dont l’interdiction met en lumière, aux yeux des opposants, l’absence de fairplay des gouvernants qui visent à imposer, sous-couvert du maintien de l’ordre, un résultat illégitime. Toutefois, la plaidoirie et les débats devant le Conseil Constitutionnel sont, pour les groupes opposants, une fenêtre d’opportunité dans la stratégie de délégitimation d’une probable victoire de Paul Biya (I). La mutation de l’arène conflictuelle du Conseil vers la rue participe d’une quête de légitimation du candidat perdant (II).
I. PLAIDOIRIE ET DEBATS DANS LA STRATEGIE DE DELEGITIMATION D’UNE PROBABLE VICTOIRE DE PAUL BIYA
La stratégie consiste, pour les avocats de l’opposition, à mettre en relief la partialité du Conseil Constitutionnel et exposer les preuves de la fraude électorale.
A. Mise à l’épreuve de l’impartialité du Conseil Constitutionnel : plaidoirie en suspicion légitime et récusation
Les débats s’ouvrent sur le rapport du conseiller-rapporteur qui conclut à l’irrecevabilité des requêtes en récusation et suspicion légitime ainsi qu’à l’absence de bases légales justifiant le déferrement devant le Conseil pour cette cause. Le collège d’avocats (Maître Yondo Black, Sylvain Souop, Emmanuel Simh, Michel Ndocki, Claude Assira) de Maurice Kamto plaide la cause.
Suspicion légitime et jonction de procédure
Le lexique des termes juridiques définit la suspicion légitime comme un motif sérieux qui laisse penser que les juges ne sont pas en situation de se prononcer avec impartialité en raison de leurs tendances ou de leurs intérêts et demandant que l’affaire soit renvoyée devant une autre juridiction (Guinchard et Debard 2013, p.878). La suspicion légitime est donc essentiellement fondée sur un soupçon de partialité des juges reposant sur des éléments objectifs et précis qui révèlent le caractère vraisemblable du comportement (Defferrard 2018 ; Kallas 2020 ; Compernolle 1994, p.429). Au premier jour d’un contentieux électoral qui en durera trois, Maurice Kamto met d’entrée de jeu en cause l’impartialité de certains membres du Conseil Constitutionnel :
« Ce qui est en cause […] C’est le sentiment qu’un justiciable peut avoir face à une juridiction dont les membres, de par leurs fonctions passées ou présentes ne présentent pas toutes les garanties de l’impartialité […]. La question c’est de savoir si à la fin de ce contentieux électoral, […] de hauts magistrats, d’honorables conseils […], qui pour diverses raisons […] se sont retrouvés membres d’un parti politique dont un des membres à l’élection présidentielle est une émanation peuvent, dans des conditions de sérénité, […] d’impartialité, rendre une décision qui ne souffre pas de suspicion légitime » (« Plaidoirie finale de Maurice Kamto devant le Conseil Constitutionnel » du 17 octobre 2018, vidéo de 28 minutes 1 seconde, extrait de la 17’21 minute à la 19ème minute, connecté le 14 juin 2024).
Cette mise en cause justifie la demande de « renvoi de la cause devant une juridiction autrement composée pour une suspicion légitime qui plane sur certains [de ses] membres ». (« Part I-Audience de règlement du contentieux post-électoral : la défense de Maurice Kamto à la barre », 16 octobre 2018, vidéo de 1 :31 :51, extrait de la 12ème minute 15 secondes à la 12ème minute 53 seconde, connecté le 15 mai 2014). Emmanuel Mbonde est membre du « Comité Central et du Bureau Politique », « instances dirigeantes » du RDPC (Cf. Article 17 de ses Statuts). Son nom figure dans le site officiel du RDPC (www.rdpcpdm.cm) comme membre élu ; celui de Jean-Baptiste Baskouda y apparait comme membre du Comité central désigné. Monsieur Foumane Akame est apparu dans un document officiel relayé par le quotidien Cameroon tribune en mai 2018, appelant à la candidature de Paul Biya. Il occupe également les postes de président du Conseil d’Administration de l’Université de Yaoundé I et président du tribunal de première instance de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Le cas de Clément Atangana, président du Conseil Constitutionnel dont l’épouse est députée du RDPC, peut laisser craindre sur son impartialité. L’on ne saurait, au regard de ce qui précède, prétendre qu’il n’y a pas de base légale justifiant la saisine du Conseil. La suspicion légitime justifie alors la plaidoirie pour récusation.
La demande de récusation
Pour Maître Yondo Black, l’appel du MRC à la récusation aboutit à faire que les juges concernés ne fassent plus partie du Conseil Constitutionnel pour permettre à ceux qui resteront de juger. Au soutien de cette requête, les avocats montreront que, sur le plan international, le Cameroun est partie prenante du pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui lui sont applicables. Tandis que l’article 14 du pacte souligne que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue […] par un tribunal […] impartial », l’article 7 de la Charte parle du « […] droit d’être jugé […] par une juridiction impartiale ».
Sur le plan national, il est édicté en l’article 51 (5) de la Constitution que « Les fonctions de membre du Conseil Constitutionnel sont incompatibles avec celle de membre du gouvernement, du parlement ou de la Cour Suprême. Les autres éléments du statut, telles les incompatibilités, les obligations, les immunités et les privilèges sont fixés par la loi ». Cette loi n°2004/05 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du Conseil Constitutionnel stipule en son article 5 : « Les membres du Conseil Constitutionnel doivent s’abstenir […] de faire apparaître de quelque manière que ce soit leur appartenance politique et surtout syndicale ». L’article 3 al.2 relatif au serment dispose que chaque membre du Conseil Constitutionnel jure d’exercer ses fonctions « en toute impartialité […] ». Compte tenu de ce qui précède, Maître Souop conclut qu’au « […] regard de la composition du Conseil Constitutionnel, des membres [Clément Atangana, Emmanuel Bonde, Jean Baptiste Baskouda, Jean Foumane Akame, Ahmadou Tidjani] de cette juridiction sont en totale discordance avec cet article 5 » (« Part I-Audience de règlement du contentieux post-électoral : la défense de Maurice Kamto à la barre », 16 octobre 2018, vidéo de 1 :31 :51, extrait entre 37 minutes 40 secondes et 39 minutes, connecté le 15 mai 2014).
Un débat s’ouvre alors autour des questions soulevées par le président du Conseil à savoir quel est le texte qui réglemente la récusation ou le renvoi, à quelle juridiction renvoyer et surtout comment le recomposer pour retrouver le quorum de neuf sur onze nécessaire pour juger, du moment où six de ses membres sont récusables ? Relativement au texte qui réglemente la récusation, Maître Yondo Black fera valoir que « la loi est généralement tirée des principes généraux du droit et des pratiques prétoriennes ». Au sujet du renvoi, il affirme :
« […] Le renvoi peut […] être fait à la Chambre administrative de la Cour Suprême tout en laissant également la possibilité à votre propre juridiction de composer, […] en élimant ceux de vos membres qui par trop, leur présence heurte dangereusement la conscience de la loi, auraient pu eux-mêmes se déporter » ( Idem : extrait entre 16 minutes 15 secondes et 17 minutes 15 secondes).
Pour le président du Conseil Constitutionnel cependant, suivre les arguments de Maître Yondo appellerait un rétropédalage :
« renvoyer à la Cour suprême entraînerait une inconstitutionnalité de la décision, parce que la Constitution elle-même, en instituant le Conseil Constitutionnel a laissé provisoirement l’exercice de ses attributions à la Cour Suprême. Et la loi qui réglemente le Conseil Constitutionnel indique que dès [sa] mise en place […], les affaires pendantes devant la Cour Suprême lui sont transférées immédiatement. Vous voulez un nouveau retour ? Ce qui sera anticonstitutionnel ! » (Ibidem : extrait de la 17ème minute 15 secondes à 18ème minute).
Pour Maître Yondo, l’attitude du président du Conseil Constitutionnel fait penser qu’il y a un vide. Et même s’il y a vide précise-t-il, « de peur d’aboutir à un déni de justice, le Conseil Constitutionnel et même la Cour Suprême a également la possibilité de décider par rapport aux éléments de droit mis en cause » (Idem : extrait entre 19 minutes 10 secondes et 19 minutes 20 secondes).
Relativement à la recomposition du Conseil Constitutionnel, Maître Yondo Black relève le paradoxe qui entoure cette situation : « c’est à ce niveau que l’on verra qu’il est difficile que ce Conseil puisse légiférer. On sera obligé de s’en référer au président de la République qui a nommé. [Pourtant] lui-même est candidat à l’élection présidentielle. Vous voyez la cacophonie ? » (Idem : extrait entre 20 minutes 15 secondes et 12 minutes 53 secondes). Le débat sur les bases légales de la saisine du Conseil Constitutionnel pour récusation fait observer qu’il n’y a pas, constitutionnellement, une autre instance vers laquelle on pourrait déférer les griefs de partialité portés contre l’un de ses membres. Le Conseil Constitutionnel est seul juge de sa propre partialité ou impartialité « dès lors qu’il existe des preuves sur les risques encourus par une décision qui pourrait être comme étant en faveur d’un candidat, parce que ceux qui ont rendu la décision avaient quelques accointances de près ou de loin avec ce candidat » (Idem : extrait entre 45 minutes 18 secondes et 45 minutes 50 secondes).
Aux termes des débats, la décision sans appel du Conseil Constitutionnel déboute le sieur Kamto dans ses prétentions pour défaut de qualité :
« Il est constant que Monsieur Maurice Kamto est candidat à l’élection présidentielle du 07 octobre 2018. A ce titre, il a qualité pour déférer le contentieux y afférent […]. Mais à l’occasion de ce contentieux, il a introduit une demande de récusation (…) [visant] à mettre fin aux fonctions des membres du Conseil Constitutionnel […]. Et ce point se trouve dans la situation d’une question préjudicielle qui doit être réglée par une procédure spéciale (Article 18). […] Aux termes de son article 10, le Conseil, statuant à la majorité des 2/3 de ses membres peut d’office ou à la demande de l’autorité de désignation, mettre fin […] aux fonctions d’un membre qui aurait méconnu ses obligations, enfreint le régime des incompatibilités […]. Or, il n’y a que le Conseil lui-même, d’office ou à la demande de l’autorité qui a désigné les membres, toute autre personne, fut-il candidat à l’élection concernée n’est pas habilité à user de cette procédure. C’est pour ça qu’il (Kamto) n’a pas qualité […]. Par ces motifs, le Conseil déclare irrecevables les requêtes de Monsieur Kamto pour défaut de qualité […]» (« Plaidoirie de Maurice Kamto devant le Conseil Constitutionnel », Extrait d’une vidéo de 14 minutes 10 secondes, tiré de la 8ème minute 35 secondes à la 14ème minute 10 secondes, consulté le 10 juin 2024).
Déboutés, les avocats de Maurice Kamto feront recours à leur seconde arme : l’argument de la fraude électorale.
B. La plaidoirie en fraude électorale
L’intention de frauder sera accompagnée des preuves de fraude.
L’intention de frauder
Sont considérées comme frauduleuses « les manœuvres qui visent sciemment à porter atteinte à la liberté et à la sincérité du vote », c’est-à-dire les actes délibérément accomplis dans le but d’orienter ou d’altérer les résultats d’une opération élective » (Deloye et Ihl 2008, p.277). La fraude électorale est donc, juridiquement, une violation de la législation électorale. Si le juriste « s’effarouche devant la corruption électorale », pour le politiste, « il existe […] une prime à la fraude. L’altération des suffrages constitue une stratégie […] de conquête ou de préservation d’un mandat (Deloye et Ihl 2008, p.277). La fraude électorale est donc « un jeu délibéré sur les règles par lequel, transgressant les dispositions légales mais en paraissant agir dans les formes, les acteurs de la compétition s’efforcent de surmonter son incertitude et, partant, d’en maîtriser l’issue » (Deloye et Ihl 2008, p.323). L’établissement de la fraude peut se faire à partir de la preuve de l’intention de frauder. Le réquisitoire du MRC laisse soupçonner une entreprise intentionnelle du RDPC et de ses alliés à frauder. Il suffit de se convaincre, aux dires de Maurice Kamto que « la volonté du candidat Biya Paul de se maintenir au pouvoir par tous les moyens et à tous les prix […] est au-dessus de toute chose y compris du Cameroun même » (« Plaidoirie finale de Maurice Kamto devant le Conseil Constitutionnel », vidéo de 28 minutes 1 seconde, extrait de la 16ème minute 27 secondes à la 16ème minute 43 secondes, connecté le 14 juin 2024).
Dans ce sens, Maître Michelle Ndocki, présentant les irrégularités sur des « procès-verbaux » des Commissions Départementales de vote, tente de montrer qu’il y a intention frauduleuse dans la mesure où les rectifications et redressements ayant été effectués sur certains procès-verbaux auraient été dissimulés. Pour elle, ces omissions sont intentionnelles. Aussi affirme-t-elle : « Dans le Mayo Banyo, […] les rectifications et redressements sont […] énumérés par bureau de vote [..]. Cela peut vous indiquer que [partout] on savait comment remplir les procès-verbaux […] et que là où ça a été omis, ça ne peut pas l’avoir été par ignorance » (« Plaidoirie intégrale de Me Michelle Ndoki (MRC) devant le Conseil Constitutionnel », vidéo de 1heure 14 minutes 16 secondes, extrait de la 50eme à la 52ème minute, connecté le 20/06/2024 à 14 heures). Maître Souop renforce cette suspicion en qualifiant « [ces] irrégularités [de] volontaires » (« 2ème journée de l’audience relative au contentieux post-électoral du 17 10 18 part 1 » , suivre entre 3 heures 31 minutes et 3 heures 32 minutes 35 secondes, consulté le 10 juin 2024). Le propos ci-après de Maurice Kamto achève de convaincre, pour la coalition opposante, du caractère intentionnel de la fraude électorale :
« On comprend dans ces conditions que l’élection présidentielle du 07 octobre se soit transformée en un piteux spectacle de sauvagerie électorale où ELECAM, les responsables du RDPC, l’administration voire la justice et les forces de sécurité se sont surpassés pour voter à la place des électeurs. Et comme leur besogne n’était pas sans reproche, les informaticiens ont pris la relève pour se substituer aux urnes et ont réparti les voix et les pourcentages de votes selon les prévisions de longue date où il était décidé que le candidat Biya devra être élu coûte que vaille avec un score non inférieur à 70%. Ces données sont dans les lieux publics depuis les longs mois déjà. Je passe les faux sondages qui se couplent aux faux observateurs de Transparency International inventés pour la circonstance » (« Plaidoirie finale de Maurice Kamto devant le Conseil Constitutionnel », vidéo de 28 minutes 1 seconde, extrait de la 17ème minute 21 secondes à la 19ème minute, connecté le 14 juin 2024.).
La démonstration de l’intention de frauder s’est accompagnée d’éléments de preuves matérielles.
La présentation des preuves
Neuf moyens ont été retenus dans la requête déposée au greffe du Conseil Constitutionnel par le candidat Kamto pour justifier la fraude électorale. Le premier moyen porte sur la violation de l’article 286 al.1 du code électoral : « Le candidat Biya aurait bénéficié du financement de campagne électorale de façon inégalitaire […]». Le deuxième moyen a consisté en la violation de l’article 91 alinéas 1 et 5 du code électoral relatif à l’affichage et au matériel de campagne de chaque candidat : « ELECAM n’aurait pas indiqué aux candidats ou aux partis politiques des espaces où leurs affiches de campagne s’afficheraient ». Le troisième motif est lié au fait que l’administration, notamment le ministre de l’Administration territoriale a pris un arrêté qui aurait écourté les délais de campagne électorale. De plus, l’article 97 du Code électoral relatif au délai d’affichage des listes devant les bureaux de vote aurait été violé « du fait que ce n’est qu’au petit matin du jour de l’élection que lesdites listes ont été affichées », tout comme l’article 100 al.2 relatif au nombre de bulletins de vote impartis à chaque candidat du fait que, « les bulletins de vote du candidat Kamto se seraient épuisés alors que ceux des autres candidats restaient disponibles ». En outre, pour les avocats de Maurice Kamto, l’article 104 al.2 du code électoral a été violé « du fait que de nombreux électeurs ont pu voter plusieurs fois, et que des militaires ont voté en lieu et place des électeurs » (« Réponse de l’avocat d’ELECAM au MRC », suivre de la 6ème minute 30 secondes à la 59ème minute de cette vidéo qui dure 1heure 03 minutes, 05 secondes, connecté le 10 juin 2024).
Si par son argumentaire, l’avocat d’ELECAM, Maître Atangana Amougou s’est employé à montrer le caractère non fondé de ces moyens, il reste que l’effet poursuivi était aussi communicationnel. L’objectif étant de porter à l’attention du public l’ampleur des fraudes électorales, l’exhibition publique des procès-verbaux à leurs yeux falsifiés mettait en cause la clarté du vote. Le MRC prenait ainsi à témoin l’opinion afin de la rendre favorable au rejet du « hold-up électoral » en la préparant à sa sollicitation prochaine : l’appel à la désobéissance civile.
II. DU CONTENTIEUX A LA RUE : MUTATION DE L’ARENE CONFLICTUELLE ET QUETE DE LEGITIMATION DU CANDIDAT PERDANT
Lieu d’affrontement et de violence qui véhicule dans l’univers politique (contentieux post-électoral de 2018) l’idée d’une confrontation brutale entre acteurs rivaux (RDPC, alliés et groupes opposants), la notion d’arène conflictuelle traduit le lieu où ces groupes politiques, mus par des intérêts matériels ou symboliques s’affrontent pour [la victoire électorale] (De Sardan 1993, p.13 ; Marc et Picard 2015, p.130). Etant donné que les « conflits (…) offrent la plupart des caractères d’une arène (Bailey 1971, p.200), le concept d’arène porte son intérêt sur les enjeux et les luttes politiques. Il rend compte de « l’interaction de la compétition » (Bailey 1971, p.103) comme « lieu de compétitions politiques (d’affrontement, duel ou subversion) qui peut se transformer en un champ de bataille si la compétition devient un combat » (Bailey 1971, p.44-45 ; Dartigues 2001, p.22). C’est aussi ce que Daniel Cefaï traduit par « Les ancrages écologiques de la raison publique », où « les disputes s’articulent comme polémique […], procès judiciaire […], bataille politique [et] se concrétisent [entre autres] dans […] des manifestations de rue […] » (Cefaï 2016, p.41). La mutation de l’arène conflictuelle, du Conseil Constitutionnel pour la rue dans le cadre du contentieux post-électoral de 2018 est donc la « concrétisation » de ces disputes qui opéraient déjà au cours du contentieux et que le verdict de l’élection va amplifier. Dans ce sens, l’appellation du perdant (Kamto) « candidat élu » par les contestataires participe desdites disputes et veut faire la nuance entre le « mauvais gagnant » (Biya) et le « bon perdant » (Kamto) à la légitimité incontestée.
A. La légitimation de la contestation à venir au cours du contentieux
Les mises en garde discursives du MRC et la validation, par le Conseil, de ce que la coalition opposante appelle « hold-up électoral » légitiment la contestation.
La légitimation discursive : les mises en garde du MRC au sujet d’un verdict défavorable
L’enjeu de décrédibilisation d’une probable victoire de Paul Biya est porté par un discours sur le chaos qu’elle pourrait entrainer en raison de son caractère frauduleux. Il est déjà dans le discours que tient Maurice Kamto lors de sa conférence de presse du 08 octobre 2018 au cours de laquelle il se déclare vainqueur et « invite le président […] sortant […] à mettre le Cameroun à l’abri d’une crise post-électorale […]»[2]. La scène du contentieux est le lieu de défense dudit mandat et d’amplification du risque d’une victoire volée. C’est dans ce sens que Maurice Kamto invite le Conseil Constitutionnel à ne
« pas […] être l’instrument du passage forcé du candidat président sortant pour un septième mandat […]. Vous devez [dit-il], dissiper les nuages qui s’amoncellent à l’horizon de notre pays en prenant le courage de rendre la seule décision qui s’impose au regard des actes […] qui ont entaché irrémédiablement le scrutin du 07 octobre […] ». (« Plaidoirie finale de Maurice Kamto devant le Conseil Constitutionnel » du 17 octobre 2018, vidéo de 28 minutes 1 seconde, extrait de la 25ème minute 25 secondes à la 26ème minute, connecté le 14 juin 2024).
Maurice Kamto en appelle aussi à la conscience des membres du Conseil Constitutionnel et à leur sens de responsabilité face à l’histoire. Ici, le discours tourne autour de l’impératif d’offrir à la jeunesse camerounaise qui a « exprimé son désir profond d’avoir un nouveau président de la république », cette chance. Par la pression des mots et du sens dont ils sont porteurs, le MRC veut faire peser sur la conscience des membres du Conseil Constitutionnel, la responsabilité des mouvements de protestations qui pourrait intervenir à l’issue de sa décision. Kamto semble en avoir perçu les signes lorsqu’il déclare : « Je tends l’oreille et j’entends les protestations qui parcourent le pays, y compris là où on a imposé aux urnes avec une brutalité sans précédent, de dire qu’elles se sont exprimées à 100% en faveur du candidat Biya Paul » (« Plaidoirie finale de Maurice Kamto devant le Conseil Constitutionnel » du 17 octobre 2018, vidéo de 28 minutes 1 seconde, extrait de la 14ème minute 25 secondes à la 14ème minute 46 secondes, connecté le 14 juin 2024). Conscient de « la volonté du candidat Biya Paul de se maintenir au pouvoir par tous les moyens » son propos qui suit sonne comme l’acte fondateur de la contestation :
« […] puisqu’ainsi cette élection a montré que jamais le régime en place […] n’acceptera que se déroule dans notre pays le jeu démocratique qui garantit une alternance pacifique au pouvoir, il s’impose à moi et […] à de nombreux autres compatriotes camerounais, l’impérieux et noble devoir de résistance à la spoliation perpétuelle de notre liberté et de notre droit légitime au libre choix de nos dirigeants » (Idem, extrait de la 19ème à la 20ème minute).
Le verdict défavorable du Conseil Constitutionnel à l’endroit de Maurice Kamto consacre la fin des espoirs en lui fondés et sort définitivement le contentieux de l’arène du Conseil pour la rue.
Le verdict défavorable du Conseil Constitutionnel comme validation du « hold-up électoral » et consécration des espoirs perdus
Après avoir passé en revue les neuf (09) moyens constituant la requête du sieur Kamto, le Conseil Constitutionnel déclare sa requête recevable, mais la rejette comme non justifiée. Sa décision met ainsi fin aux espoirs du candidat Kamto d’être déclaré vainqueur de l’élection du 07 octobre 2018. Par cet acte, il lui refuse la seule attente fondamentale pour laquelle il l’a saisi : « Je ne demande qu’une chose, que la volonté de ce peuple qui n’a pas accordé son choix majoritaire au président Paul Biya soit respectée et que le candidat qu’il a investi […] soit établi dans sa victoire par le Conseil Constitutionnel » (Ibidem, extrait de la 26ème minute 48 secondes à la 27ème minute 15 secondes).
Espoir d’un procès qui aurait offert à la jeunesse la chance de changer de président, la décision du Conseil Constitutionnel aura « tuée » « son rêve en cautionnant les fraudes massives et barbares […] par lesquelles on veut étouffer sa voix » (« Plaidoirie finale de Maurice Kamto devant le Conseil Constitutionnel » du 17 octobre 2018, vidéo de 28 minutes 1 seconde, extrait de la 20ème minute 40 secondes à la 21ème minute, connecté le 14 juin 2024). Ce « contentieux historique, entre un Cameroun aplati qui, depuis les origines, cherche à se redresser et le Cameroun de l’arrogance prégnante, méprisante, sûr de son fait » (Idem, extrait de la 14ème minute à la 14ème minute 25 secondes) n’a donc pas produit, au bénéfice de Kamto, le résultat attendu. C’est aussi, à proprement parler, l’échec du contentieux d’un système électoral qui, pour Maurice Kamto, « mène à coup sûr notre pays […] vers la tragédie des règnes sans fin, aveugles sur leur propre épuisement et sourds aux cris de détresse d’un peuple essoré, à la dignité arrachée, qui désespère » (Idem, extrait de la 14ème minute 50 secondes à la 15ème minute 30 secondes). En proclamant Paul Biya vainqueur de l’élection, le Conseil Constitutionnel a irrémédiablement concouru à la « certification de la fraude électorale ». Il devient par-là « l’instrument du passage forcé du candidat président sortant pour un septième mandat » (Ibidem, extrait de la 25 minutes 25 secondes à la 26ème minute).
Le rejet du verdict du Conseil Constitutionnel par Maurice Kamto est donc sans ambages : « Je ne peux pas reconnaître des résultats qui proclament vainqueur celui qui n’a pas été élu […] » [3]. Par ce rejet, il dénie toute légitimité au président nouvellement élu. Le résultat proclamé par le Conseil Constitutionnel étant insusceptible de tout recours, il met fin au contentieux post-électoral. La « résistance » sous fond de désobéissance civile apparaît alors, pour les opposants, comme le dernier rempart de protection du vote réel des électeurs et la manifestation du refus de se soumettre aux directives d’un « gouvernement illégitime ».
B. La désobéissance civile au nom du « hold-up électoral »
La légitimité du droit de contester appelle un « plan de résistance » produit à cet effet.
Légitimation et légitimité du droit de contester
Au Cameroun, il n’y a pas symétrie entre le parti au pouvoir et les partis d’opposition quand il s’agit d’organiser des réunions et manifestations. Les partis politiques de l’opposition estiment qu’il suffit de déclarer sa manifestation pour la tenir, ce que réfutent les autorités administratives[4]. Atanga Nji, Ministre de l’Administration territoriale avait ainsi invité « tous les acteurs politiques (…) à faire preuve de responsabilité afin que le processus [électoral] qui a si bien commencé se termine dans le même esprit » [5]. Il avait aussi prévenu que « Toute forme de remise en cause du verdict des urnes en dehors des voies légales ne sera pas tolérée » (Idem). Rien n’y avait fait car, fondés sur l’idée qu’«[…] il est […] du devoir de chacun […] de résister […] si […] les « impératifs moraux supérieurs auxquels on tient (liberté, égalité, justice, dignité humaine…) sont bafoués » (Ogien et Laugier, 2010), la « résistance » engagée par l’opposition apparaissait comme l’ultime « recours […] de ceux qui se sentent dépossédés d’une voix dans leur histoire » (Ogien et Laugier 2010, p.36 ; Ogien 2015).
Il faut toutefois relever que l’entreprise de désobéissance civile du MRC prend ses sources dans la naissance de ce parti. Lors de sa première convention nationale des 29 et 30 septembre 2012, Kamto avait fait de la réforme du Code électoral une priorité de sa lutte contre la fraude. Si le MRC rappelle à l’endroit des autorités préfectorales qu’il « ne tolérera pas la violation de la loi au cours des scrutins à venir[6] », il dit être aussi prêt à se dresser contre le Conseil Constitutionnel et l’armée en cas de soutien des fraudes du RDPC :
« […] je n’accepterai jamais que le Conseil Constitutionnel […] protège un candidat ou un parti fraudeur […] au cours des prochains scrutins. Nous ferons montre d’une détermination inébranlable, y compris face à l’armée […] afin que les résultats […] prononcés par le Conseil Constitutionnel ne soient pas le fruit […] des fraudes massives qui sont le carburant du régime-RDPC » [7].
L’élection présidentielle donne ainsi, à ses yeux, l’occasion de confirmer les soupçons de fraude portés à l’endroit du RDPC et la thèse du « hold-up électoral » justifie un processus de désobéissance civile que les gouvernants ont contribué eux-mêmes à créer. La mobilisation du « droit de marcher » va dès lors se déployer dans le cadre d’un jeu de controverses discursives autour duquel les dépositaires du pouvoir misent sur le discours patriotique qu’ils portent, tandis que l’opposition politique mobilise des récits objectivant l’espoir d’un changement certain (Tchingankong 2019, p.97), « une posture prophétique » qui trahit sa prétention à « monopoliser la voie de salut […] pour le Cameroun » (Sindjoun 2004, p.23). Un « programme résistance[8] » accompagne ses prétentions.
L’action contestataire planifiée
L’action contestataire se déploie autour d’un « programme de résistance » contre le « hold-up électoral ». Il est, au regard de son contenu, une sorte de planning fixant les modalités pratiques d’opérationnalisation des manifestations de l’opposition au Cameroun et à l’étranger. Une première phase de ce « programme » est lancée le 25 octobre à la suite de la publication des résultats de l’élection le 22. Elle prévoit le début des manifestations le vendredi 26 octobre. Une deuxième, qui fait suite à la prestation de serment du président nouvellement élu est lancée le 16 novembre 2018. Elle appelle
« le dépôt systématique de déclarations de manifestations publiques pour tous les 6 et 22 de chaque mois [respectivement], date de commémoration du scrutin présidentiel volé de 2018 et […] de proclamation par le Conseil Constitutionnel de faux résultats donnant gagnant le président sortant » [9].
Plusieurs partis politiques et mouvements de l’opposition amenés par le MRC et ses alliés (Cameroon People’s Party (CPP), le Mouvement Patriotique pour un Cameroun Nouveau (MPCN), Stand up of Cameroon) portés par des opposants (Kamto Maurice, Albert Nzongang, Mboua Massok, Kabang Walla Edith, Fogue Alain, Paul Eric Kingue) tiennent en haleine le pouvoir d’Etat. Tous sont appelés « à […] se concentrer sur le Plan national de Résistance (PNR) » [10]. La contestation se routinise et s’institutionnalise comme mode d’action politique. Le programme y relatif se donne en l’un de ses points, « « 5 min POUR FAIRE FUIR LE VOLEUR », en tapant sur tout support qui fait de la résonance (klaxon, sifflets, casseroles, tam-tam) suivie de 10 minutes d’inactivité » [11]. Le 06 janvier 2019 et le 22 septembre 2020 restent des journées qui ont connu des manifestations ayant débouché, pour la première, aux arrestations de Maurice Kamto, Paul Eric Kingue entre autres, tandis que la seconde a vu plusieurs autres personnes arrêtées puis incarcérées dans diverses villes[12]. L’action contestataire s’est poursuivie par une communication active sur la non reconnaissance de Paul Biya comme président élu. La préparation de l’élection de 2025 a ouvert un nouveau front sur « l’impossible » candidature du MRC.
Bibliographie :
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- Tchingankong Yanou, Moïse. 2019. « Le champ politique camerounais « à l’étranger » au travers des rivalités entre partis politiques ». Revue internationale de politique comparé 26(2) :83-105.
[1] Le contentieux est retransmis en direct à la CRTV, télévision nationale et relayé par des chaînes de télévision privées comme Canal2 International.
[2] Afrique Replay TV, « Suivez la 1ère déclaration de Maurice KAMTO après l’élection Présidentielle », in https://www.youtube.com/watch?v=czFvRj0UEfM, consulté le 1er juin 2023.
[3] France 24, « Exclusif, Maurice Kamto refuse de reconnaitre », in https://www.youtube.com/watch?v=HiTWsBl3zgs, consulté le 08 mai 2023 à 11h.
[4] Ntap Emmanuel Jules, 06 mars 2017, « Restrictions administratives pour les manifestations des partis de l’opposition au Cameroun », in https://www.voaafrique.com/a/restriction-administration-pourmanifestations-partis-politique-opposition-cameroun/, consulté le 2 juin 2023.
[5] VOA Afrique avec AFP, 08 octobre 2018, « Début de la longue attente des résultats pour la présidentielle au Cameroun », https://www.voaafrique.com/a/début-de-la-longue-attente-des-résultats-pour-la-présidentielle-au-cameroun-/4604051.html, consulté le 24 juin 2024.
[6] MRC, 2015, « Discours d’acceptation de l’investiture et de clôture de la convention du Président National du MRC », in https://www.mrcparty.org/?q=discours-dacceptation-de-linvestiture-et-de-cloture-de-la-convention-du-president-national-du-mrc, consulté le 13 avril 2023.
[7] « Discours d’acceptation de l’investiture et de clôture de la convention du Président National du MRC tenu lors de la 2ème Convention ordinaire du Mouvement pour Renaissance du Cameroun tenue au Palais des Congrès de Yaoundé le 15 avril 2018 », in https://www.mrcparty.org/?q=discours-dacceptation-de-linvestiture-et-de-cloture-de-la-convention-du-president-national-du-mrc, consulté le 20 mars 2023.
[8] « Programme de résistance Nationale au hold-up électoral, dans la perspective de la prestation de Serment de M. Biya en Novembre », in https://www.mrcparty.org/?q=programme-de-resistance-nationale-au-hold-electoral-dans-la-perspective-de-la-prestation-de-serment, consulté le 25 avril 2023.
[9] Romain Nono « Cameroun/Opposition : Maurice KAMTO lance la 2eme phase du Plan de Résistance National (PRN) – Lebledparle », https://www.lebledparle.com/author/romain-nono/, consulté le 20 juin 2024.
[10] Romain Nono, « Cameroun : Le MRC appelle ses militants à se concentrer sur le Plan national de Résistance » in https://www.lebledparle.com/politique-cameroun/1106030-cameroun-le-mrc-demande-atous-ses-militants-de-se-concentrer-sur-le-plan-national-de-resistance, consulté le 25 avril 2023.
[11] « Programme de résistance Nationale au hold-up électoral, dans la perspective de la prestation de Serment de M. Biya en Novembre », 24 octobre 2018, https://www.mrcparty.org/?q=programme-de-resistance-nationale-au-hold-electoral-dans-la-perspective-de-la-prestation-de-serment, consulté le 25 avril 2023.
[12] Josiane Kouagheu, « Au Cameroun, des marches de l’opposition réprimées par les forces de l’ordre », https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/09/23/au-cameroun-des-marches-de-l-opposition-reprimees-par-les-forces-de-l-ordre_6053300_3212.html, consulté le 20 juin 2024.
L’auteur :
Arnold Martial ATEBA est maître de conférences en Science politique à l’Université de Yaoundé II