La théorie du nudge
Un paternalisme libertarien illibéral ?


Raphaël Demias-Morisset


Résumé

Notre article vise à déterminer la nature idéologique de la théorie du nudge au regard de sa filiation intellectuelle et de ses effets sur le constitutionnalisme libéral. Bien que conformément au narratif entretenu par les théoriciens du « paternalisme libertarien », le nudging est régulièrement associé à une forme d’ultra-libéralisme, nous soutenons qu’il est nécessaire d’interroger le caractère illibéral de la théorie du nudge dans la continuité du conflit entre libéralisme et néolibéralisme. Replacer la théorie du nudge dans le sillage de la law&economics permet ainsi de comprendre et d’illustrer la portée des critiques adressées au constitutionnalisme libéral par le free-market conservatism. Les appropriations des nudges par des Etats autoritaires et des intellectuels revendiquant l’anti-libéralisme combinée à leurs inadéquations avec l’architecture institutionnelle et les principes régissant le constitutionnalisme libéral confirment ainsi le caractère illibéral de la théorie développée par C. Sunstein et R. Thaler.  

Abstract

Our article aims to determine the ideological nature of nudge theory with regard to its intellectual filiation and its impacts on liberal constitutionalism. Although, in line with the narrative promoted by C. Sunstein R. Thaler, « libertarian paternalism » is regularly associated with ultra-liberalism, we argue that it is necessary to interrogate the illiberal character of nudge theory by repositioning it in the continuing conflict between neoliberalism and liberalism. Therefore, by situating nudge theory in the vein of law&economics, we can understand and illustrate the scope of the criticisms levelled at liberal constitutionalism by free-market conservatism. The appropriation of nudges by authoritarian states and intellectuals claiming anti-liberalism, combined with their inadequacy for the institutional architecture and principles governing liberal constitutionalism, thus confirms the illiberal nature of the theory developed by C. Sunstein and R. Thaler.

How to cite

Demias-Morrisset, Raphaël. 2023. « La théorie du Nudge, un paternalisme libertarien illibéral ? ». Nomopolis 1.

Très souvent mobilisée au sein des travaux s’intéressant au néolibéralisme car elle permet de mettre en exergue certaines des caractéristiques les plus caricaturales de la gouvernementalité néolibérale, la théorie du nudge illustre les jeux de langage[1] enceignant les définitions et les conceptualisations du libéralisme, du néolibéralisme et du libertarianisme. Ainsi, les nudges – c’est-à-dire l’ensemble des mécanismes mobilisant les apports de la psychologie et de l’économie comportementale afin de guider des individus sans chercher à les convaincre ou les contraindre explicitement – sont considérés comme  la dernière incarnation d’un projet néolibéral combinant de façon hétéroclite les apports de la pensée libertarienne et du nouveau conservatisme (Gane, 2021). Cette association entre la théorie du nudge et une forme d’ultra-libéralisme cherchant à limiter l’interventionnisme étatique au profit de la préservation de la liberté individuelle constitue ainsi le prisme d’appréhension le plus courant du paternalisme libertarien. Ce narratif – entretenu par les théoriciens du paternalisme libertarien, C. Sunstein et R. Thaler – conduit ainsi à apprécier l’utilité, ou la conformité déontologique du nudge sur le plan individuel. Or il semble nécessaire de remettre en question ce narratif en raison des impensés néolibéraux sur lequel il repose, en particulier l’idée d’une conformité intrinsèque entre les dispositifs juridico-économiques destinés à améliorer l’efficacité du marché et le constitutionnalisme libéral.

Interroger la nature idéologique de la théorie du nudge au regard de ses effets sur l’architecture institutionnelle libérale soulève donc un certain nombre de problèmes historiographiques et épistémologiques relatifs à la définition du libéralisme, du néolibéralisme et de l’illibéralisme. Ces problèmes ne doivent pas être sous-estimés au regard de leurs implications sur les plans axiologique et analytique. Aussi, il semble nécessaire d’appréhender le cadre conceptuel du paternalisme libertarien à l’aune des conflits idéologiques structurant les définitions de certains concepts clés du libéralisme. Ce détour généalogique et idéologique éclaire selon nous la difficile intégration des nudges au sein du système juridico-politique libéral, car cette incompatibilité illustre le caractère illibéral, bien qu’impensé, d’un néolibéralisme remettant en question les institutions clés du libéralisme au nom de la défense du marché dérégulé.

Bien que la majorité des travaux s’intéressant au nudge se concentre sur ses aspects techniques, en questionnant l’efficacité des dispositifs extrêmement variés adaptant la théorie de C. Sunstein et R. Thaler[2], leurs implications morales et politiques conduisent nécessairement les chercheurs à interroger la relation entre la théorie du nudge et le libéralisme. En effet, les nudges constituent un exemple particulièrement saillant du caractère « ambivalent » de la technique décrit par J. Ellul (Ellul, 1977 ; Chastenet, 2019). Que les nudges soient considérés de façon enthousiaste ou critique, leurs effets semblent particulièrement imprévisibles, ce qui s’explique par la portée de l’ouvrage de C. Sunstein et R. Thaler ainsi que par le caractère ambigu de certains de leurs développements sur la marge de manœuvre du choice architect. Surtout, la théorie du nudge apparaît particulièrement ambivalente car ses effets bénéfiques semblent indissociables de ses effets négatifs. Le potentiel en matière d’ingénierie sociale offert par l’économie comportementale soulève ainsi des problématiques en matière de liberté individuelle qui génèrent des critiques préventives. Les débats sur la théorie du nudge sont donc généralement appréhendés sous le prisme de ses implications sur le plan individuel en se concentrant sur la relation entre le nudge et le choice architect (Lepenies and Małecka 2015).

Par conséquent, les travaux s’intéressant à la nature idéologique de la théorie du nudge se concentrent sur la question du « paternalisme » et sa compatibilité avec l’individualisme libéral. Or, la notion d’individualisme étant un concept idéologique clé au sein de l’idéologie libérale (Freeden, 1996), l’analyse de la relation entre le nudge et le libéralisme diffère selon les conceptualisations du libéralisme. Ainsi, la théorie du nudge est décrite, parfois de façon simultanée, comme étant libérale, néolibérale, libertarienne et illibérale (Furedi, 2022). Ce double constat d’une priorisation du prisme « individuel » pour penser la théorie du nudge et d’un flou sémantique et conceptuel autour de la nature idéologique de la théorie du nudge invite selon nous à repenser la relation entre le libéralisme et le paternalisme libertarien en considérant les implications des nudges au niveau de l’architecture institutionnelle libérale. Dans la continuité des travaux de M. Freeden (1996) et P. Mirowski (2009), nous distinguerons donc libéralisme, libertarianisme et néolibéralisme.  Cette distinction vise à rendre apparente les conflits entre les écoles de pensée revendiquant la défense du marché libre dérégulé – tels que la seconde génération de l’école de Chicago, l’école autrichienne d’économie et l’école de Virginie – que nous désignerons par le terme de néolibéralisme ; et le reste des intellectuels et courants de pensées libéraux.

En effet, comme l’ont fait remarquer un certain nombre de travaux (Lepenies and Małecka 2015 ; Van Aaken, 2015), l’étude de la relation entre le nudge et le système juridico-politique libéral semble faire l’objet d’un impensé, tant sur le plan juridique que théorique. Or, les nudges semblent difficilement fongibles dans les systèmes juridiques existants, indépendamment de leur tradition juridique, du fait de leur nature et de leur mode d’élaboration :

« D’autres politiques relevant du nudge comme la simplification, l’utilisation des normes sociales, la simplification et l’amélioration de l’accessibilité, la diffusion, les avertissements, les stratégies de pré engagement, les rappels, le fait de pré-susciter des décisions, et le fait d’informer les individus des conséquences de leurs choix, ne peuvent pas faire partie d’un système juridico-législatif. Ce qui signifie que ces politiques ne sont pas codifiées et promulguées par le biais de normes juridiques. (…) Les « nudges », étant extérieurs au système juridico-législatif et aux normes juridiques sont moins visibles et difficilement contestables. Les nudges ne nécessitent pas de soutien politique, de procédure et de débats parlementaires, ils permettent donc aux décideurs politiques d’influencer le comportement des individus plus rapidement, plus efficacement et sans s’engager dans des processus législatifs et délibératifs fastidieux. »[3] (Lepenies, R., & Małecka, M. 2015).

Cet impensé, qui est présent au sein même des travaux de R. Thaler et C. Sunstein (Lepenies and Małecka 2015), illustre selon nous la remise en question de la place des institutions au cœur du libéralisme politique. En effet, la théorie du nudge reflète l’évolution post-libérale de la conception du rôle du droit et de l’Etat présente au sein de law&economics, qui défend l’affranchissement vis-à-vis des contraintes procédurales pesant sur le processus d’élaboration des normes au nom de l’efficacité économique. L’intégration difficile de cette théorie au sein du système juridico-politique libéral interroge pourtant sa compatibilité avec le libéralisme, dans la continuité des interrogations faisant suite au développement exponentiel d’un droit « mou » ou « souple ».

Or, le relatif manque d’attention quant à la question de l’intégration du paternalisme libertarien au sein du constitutionnalisme libéral, et à ses effets sur l’équilibre des pouvoirs constitue en lui-même un symptôme du flou conceptuel et sémantique induit par l’avènement du néolibéralisme. Selon les définitions et les fixations stratégiques de l’historiographie libérale (Kévorkian, 2010), le néolibéralisme peut être pensé dans la continuité ou la rupture avec le libéralisme. Par conséquent, l’appartenance des néolibéraux à la famille idéologique libérale semble évidente au sein de plusieurs conceptualisations du libéralisme, ce qui tend à dissimuler la possibilité d’une remise en question néolibérale des institutions traditionnellement associés au libéralisme. Cette remise en question est d’autant plus impensée que la confusion entre libéralisme et néolibéralisme induit rétrospectivement une redéfinition du libéralisme qui repose sur l’association étroite du constitutionnalisme et de l’économie de marché dérégulée. Pour le dire autrement, le double constat que nous avons réalisé illustre la relégation au second plan des réflexions sur le constitutionnalisme libéral (associé au libéralisme politique dans le langage commun), qui a été réduit à « un affrontement entre défenseurs et adversaires de l’économie de marché dérégulé » (Shklar, 1987). Cette relégation traduit donc la difficulté à penser l’hétérogénéité de la galaxie libérale, et les conflits entre les différentes revendications du libéralisme. Les implications de ce conflit sont toutefois particulièrement importantes pour appréhender le libéralisme et ses remises en question, puisque les différents acteurs au sein de ce conflit intra-idéologique se frappent mutuellement d’excommunications (Capedvila, 2004 ; Wallerstein, 1992). La mobilisation explicite de la théorie du nudge comme outil permettant la « dé-libéralisation » de la société et de l’Etat par A. Vermeule[4] – intellectuel de la nouvelle droite conservatrice Etats-unienne défendant le renouveau de l’intégralisme catholique et proche de R. Thaler –  rend néanmoins plausible l’hypothèse d’un caractère illibéral de la théorie du nudge.

I. LE PATERNALISME LIBERTARIEN, UNE THEORIE INSCRITE DANS LA CONTINUITE DU REVIREMENT ANTI-LIBERAL DU FREE-MARKET CONSERVATISM

A. Le flou sémantique et conceptuel affectant la labellisation idéologique de la théorie du nudge

Bien que selon C. Sunstein, l’adhésion à la théorie du nudge fasse l’objet d’un consensus presque mondial (Sunstein, Reisch & Rauber, 2018), il est frappant de considérer les convergences idéologiques dans la critique du « nudge », qu’elle soit libérale, libertarienne, ou encore conservatrice (Legett, 2014). Cette convergence ne manque pas de questionner la nature idéologique de la théorie du paternalisme libertarien, car si comme nous l’avons rappelé, ces différents labels sont parfois utilisés de façon interchangeable pour appréhender la théorie du nudge, l’hétérogénéité de ces labellisations révèle en filigrane le caractère conceptuellement contesté du libéralisme. Il convient d’ailleurs de relever le manque de fiabilité de la cartographie idéologique dressée par C. Sunstein et R. Thaler, bien qu’elle serve de support à leur propre revendication du « libertarianisme ». Les importantes dénonciations de la théorie du nudge dans les cercles intellectuels libertariens invitent donc à adopter une distance critique vis-à-vis du caractère « libertarien » de la théorie du nudge[5]. Ainsi, le fait que le principal référent théorique de C. Sunstein et R. Thaler soit M. Friedman les placent dans le sillage doctrinal de la seconde génération de l’école de Chicago, dont l’héritage intellectuel et politique est dénoncé tant par les libertariens que par les libéraux (Audier, 2012).

L’entreprise de labellisation intellectuelle de la théorie du nudge se heurte donc au caractère conceptuellement contesté de la définition du libéralisme et de sa tradition historico-philosophique (Abbey, 2005). Ainsi, pour F. Furedi la théorie du nudge incarne la manifestation contemporaine d’une tendance illibérale au sein de la famille idéologique libérale. Selon ce dernier, les travaux de C. Sunstein et R. Thaler s’inscrivent dans la continuité de la remise en question du libéralisme classique opérée par le new-liberalism au tournant du XIXe et XXe siècle[6]. L’anti-individualisme et l’anti rationalisme caractérisant la théorie du nudge la placerait dans le sillage intellectuel de J. Dewey, dont la défense de l’interventionnisme étatique impliquerait une adhésion à l’ingénierie sociale. Le libéralisme véritable étant celui fidèle au libéralisme classique du siècle des lumières associé à l’individualisme[7],  la dénonciation par J. Dewey d’un dévoiement « individualiste » pseudo-libéral du libéralisme classique permet de labelliser comme illibérale sa pensée :

« Les libéraux-illibéraux se considèrent souvent comme des libéraux. Mais leur conception du libéralisme n’a pas grand-chose à voir avec le libéralisme classique issu des lumières. Le libéralisme classique affirme la primauté de l’individu et soutient son autonomie. Il défend les principes de tolérance et de la liberté sous leurs différentes formes, de la liberté de propriété à la liberté d’expression. En affirmant la valeur morale de tous les êtres humains, il est à la fois égalitaire et universaliste. Le libéralisme illibéral, notamment dans sa version actuelle de politique identitaire, remet en cause la valeur de ces principes et se montre souvent aussi intolérant que les mouvements autoritaires qu’il critique. » (Furedi, 2022).

Dans cette perspective, le paternalisme libertarien apparaît donc illibéral du fait de sa filiation avec un libéralisme « progressiste » interventionniste et anti-individualiste. La critique « libérale » adressée par F. Furedi à la théorie du nudge (et au new liberalism) rejoint donc celle adressée par les libertariens, bien que leurs conceptualisations du libéralisme soient opposées, car pour les libertariens le libéralisme se définit précisément par son faux-individualisme et sa tendance à justifier l’interventionnisme étatique. Or, il est possible de renverser l’analyse de F. Furedi tout en maintenant le constat d’un « paternalisme libertarien » illibéral en recourant à une autre conceptualisation du libéralisme. Ainsi, la morphologie idéologique du libéralisme dressée par M. Freeden (1996, 2012) inscrit au contraire l’œuvre de J. Dewey dans la continuité d’un libéralisme classique dont l’individualisme aurait été mal compris et détourné. Selon M. Freeden, le libéralisme est défini par la hiérarchisation et la « décontestation » de plusieurs concepts politiques clés, tels que la liberté, l’égalité ou encore l’individualisme, auxquels ont été associés des concepts adjacents et périphériques variant selon les contextes géo-historiques (Freeden, Fernández-Sebastián, and Leonhard, 2022). Dans cette perspective, le libéralisme se caractérise par sa redéfinition perfectionniste et holiste de l’individualisme. La critique de l’individualisme et du laisser-faire réalisée par le  new liberalism  s’inscrit donc dans la continuité du libéralisme classique, comme en témoigne l’évolution des prises de position du parti libéral britannique au cours du XXe, par opposition  à l’attachement des conservateurs à la conception victorienne de l’individualisme et du capitalisme « manchestérien ». Par conséquent selon M. Freeden, ce sont les défenseurs du free-market et d’un individualisme spencérien tels que F. Hayek ou M. Friedman qui sont des « faux-libéraux ». Cette conceptualisation du libéralisme permet donc également d’envisager le caractère illibéral de la théorie du nudge, mais sur la base de sa filiation avec les théories conservatrices du néolibéralisme anglo-américain.

B. Un anti-libéralisme néolibéral impensé

Le flou conceptuel et sémantique autour de la qualification idéologique de la théorie du nudge permet de mettre en perspective la superposition de plusieurs grammaires dans l’emploi du concept de libéralisme. Cette diversité de fixations stratégiques de la tradition libérale, de définition du concept d’idéologie et de conceptualisations du libéralisme animent précisément les controverses sémantiques autour de la définition du « néolibéralisme ». La théorie du nudge illustre en effet les enjeux des différentes approches du phénomène néolibéral. Les travaux de C. Sunstein et R. Thaler et leur revendication du libertarianisme peuvent ainsi être mobilisés pour placer le néolibéralisme dans le continuum idéologique entre libéralisme et libertarianisme décrit par P. Bourdieu (1998). À l’inverse, la théorie du nudge peut être mobilisée pour démontrer le caractère caricatural d’un concept de néolibéralisme univoque. Selon S. Audier (2012) ou S. Caré (2016), l’emploi du terme de néolibéralisme dissimule ainsi une pluralité d’écoles de pensées – la seconde génération de l’école de Chicago, l’école de Virginie, l’école néo-autrichienne, l’école ordolibérale –  aux relations conflictuelles en raison de postulats épistémologiques et politiques contradictoires. Enfin, comme nous l’avons rappelé, la théorie du nudge peut également être appréhendée sous un prisme foucaldien et post-marxiste, au sein duquel le néolibéralisme constitue une « rationalité politique » particulièrement compatible avec le conservatisme, dont la traduction politique serait le « strong state, free economy » (Gamble, 1996) de la gouvernance Reagano-Thatchérienne (Dardot et Laval, 2020 ; Brown 2006).

De fait, la théorie du nudge montre la pertinence de ces deux dernières approches qui peuvent être employées de façon complémentaire pour appréhender le conflit entre néolibéralisme et libéralisme. Certes, la théorie du nudge illustre le caractère hétéroclite et contradictoires des théories servant de support à l’idéologie néolibérale ainsi que les conflits entre les héritiers de M. Friedman et F. Hayek (Audier, 2012). La revendication appuyée de l’héritage politique et doctrinal de M. Friedman par C. Sunstein et R. Thaler, et l’absence de la moindre mention d’auteurs néo-autrichiens tels que F. Hayek ou L. Mises révèle ainsi la profondeur des disputes – ou du fossé intellectuel – séparant les écoles labellisées comme néolibérales[8]. La remise en question du paradigme de l’homo-oeconomicus – c’est-à-dire du postulat néoclassique de rationalité de l’agent économique – au cœur de l’ouvrage de C. Sunstein et R. Thaler interpelle quand on sait qu’elle constitue l’un des postulats épistémologiques de l’école autrichienne d’économie. On peut donc être surpris par l’absence de citations ou de références à F. Hayek puisque ce dernier a précisément insisté sur le caractère erroné de cette « présomption fatale » (Hayek, 1993). La découverte des implications de cette remise en question pour les politiques publiques et l’économie comportementale illustre toutefois paradoxalement la complémentarité entre les approches néoclassiques et néo-autrichiennes. Ainsi, un dispositif visant à rendre les individus plus performants, qui cherche à rendre une situation de marché plus effective par le biais de politiques actives, en considérant les individus comme des agents uniquement animés par leur intérêt bien qu’étant irrationnel constitue une synthèse entre le modèle néoclassique et le modèle néo-autrichien. Les critiques épistémologiques adressés par Hayek à l’économie néoclassique servent donc aujourd’hui de fondement à une économie comportementale qu’il méprisait de son vivant[9].

Les contradictions et impensés des théories visant la défense du marché libre dérégulé constituent donc un obstacle pour appréhender leur « morphologie idéologique », ce qui peut expliquer le caractère « furtif » de la remise en question de la démocratie et du libéralisme par le néolibéralisme (Brown, 2015). Ainsi, la revendication « sincère » de C. Sunstein et R. Thaler d’un paternalisme libertarien visant à diminuer la présence de l’Etat au sein de la société s’inscrit dans la continuité des supply-sides economics et des politiques d’austérité ayant conduit à l’avènement d’un interventionnisme étatique « prédateur » (Galbraith, 2008). Bien qu’en apparence, la théorie du nudge semble valider l’hypothèse d’un néolibéralisme défendant la réduction du rôle de l’Etat conformément à la part mythique de cette idéologie[10], elle justifie au contraire  un interventionnisme conduisant au renforcement du rôle de l’Etat et à la concentration des pouvoirs. Pour le dire autrement, il semble paradoxal de considérer que des théories défendant le free-market  et la réduction de l’interventionnisme étatique justifient un accroissement du pouvoir de l’Etat et la remise en question des contrepouvoirs. Le néolibéralisme se définit néanmoins par cette « dissonance cognitive » (Salle, 2015) rendu visible par l’avènement simultané d’un accroissement des déficits publics, d’un durcissement du pouvoir coercitif exercé par l’Etat et d’une remise en question du constitutionnalisme libéral. Or la théorie du nudge s’inscrit pleinement dans ce processus de remise en question du libéralisme qui est aujourd’hui appréhendé grâce au concept d’illibéralisme. Les impensés et les « silences » de C. Sunstein et R. Thaler quant à la compatibilité de la théorie du nudge avec les contraintes du constitutionnalisme libéral invitent donc à considérer le caractère illibéral de leur théorie.

II. LE PATERNALISME LIBERTARIEN, UNE THEORIE ILLUSTRANT LA REMISE EN QUESTION NEOLIBERALE DU CONSTITUTIONNALISME LIBERAL

A. Des appropriations anti-libérales révélant l’appauvrissement de la conception néolibérale du constitutionnalisme

En effet, on peut considérer que le succès international de la théorie du nudge, y compris au sein d’Etats autoritaires tels que la Chine, la Russie ou Singapour (Whitehead, Jones, Pykett 2019), loin d’être synonyme d’une « libéralisation » de ces systèmes politiques, témoigne au contraire de la perméabilité de cette théorie avec l’autoritarisme (Jones, Pykett 2019). Rappeler l’appartenance de C. Sunstein et R. Thaler à la « pensée collective néolibérale » (Mirowski, 2015) permet de reconsidérer leur théorie à l’aune de la relation entre néolibéralisme et autoritarisme. Or, bien que l’alliance tactique entre néolibéralisme et nouveau conservatisme soit principalement appréhendé sous le prisme de la crise de la démocratie, ce phénomène a également révélé les implications du conflit entre libéralisme et néolibéralisme. La « dé-démocratisation » de la démocratie libérale, terme forgé par Wendy Brown, apparait être  la conséquence de l’extension d’une rationalité néolibérale minant « l’autonomie relative de certaines institutions (la loi, les élections, la police, la sphère publique) les unes par rapport aux autres, et l’autonomie de chacune d’entre elles par rapport au marché » (Brown, 2007), or cette séparation avait justement été permise par la démocratie libérale qui a « ouvert, au cours des deux siècles derniers, une modeste brèche éthique entre économie et politique » (Brown, 2007) . Le fait que la cible de la Société du Mont-Pèlerin, ait été l’Etat providence de la démocratie libérale post seconde guerre mondiale témoigne en effet d’un conflit au sein des courants se réclamant du libéralisme, qu’on a eu tendance à sous-estimer, en le réduisant à un conflit entre libéralisme et démocratie. Ce conflit est pourtant parfaitement visible quand on compare les auteurs néolibéraux à leurs contemporains libéraux, notamment Raymond Aron pour qui l’économie de marché dérégulée constitue une menace envers le régime constitutionnel pluraliste (Aron, 1952). À l’opposé, pour les néolibéraux, un régime autoritaire peut parfaitement être considéré comme libéral, s’il adopte le modèle du marché libre dérégulé.  Ce conflit entre deux conceptions du libéralisme renvoie aux débats théoriques majeurs ayant traversé la philosophie libérale tout au long du XIX et du XXe notamment à la question de la hiérarchisation entre sphère politique et économique au sein des pensées libérales. Toutefois, subsistait indépendamment de ce conflit entre traditions « libérale » et « libériste » (Croce, Einaudi, 1988 ; Audard, 2009), un consensus autour des institutions incarnant le libéralisme à savoir un Etat de droit respectant la séparation des pouvoirs et le principe de légalité afin de garantir les libertés individuelles. La question du constitutionnalisme éclaire donc sous un angle totalement différent le rapport entre néolibéralisme et libéralisme. Le concept d’illibéralisme permet justement d’éclairer le phénomène de remise en question des institutions libérales de la démocratie représentative. En effet, le phénomène illibéral repose sur la dénonciation du constitutionnalisme libéral (Halmai, 2021) fondé sur la séparation des pouvoirs, la neutralité de l’Etat et la garantie des libertés fondamentales, c’est-à-dire la conception « non-néolibérale » du libéralisme. Ce phénomène permet rétrospectivement de reconsidérer l’importance de la réception des thèses schmittiennes chez les auteurs néolibéraux (Scheuermann, 1997 ; Chamayou, 2018 ; Dardot, 2022), en particulier au sein de la law&economics. Or, C. Sunstein et R. Thaler ont explicitement défendu ce processus de remise en question de l’équilibre des pouvoirs en faveur de l’organe exécutif, ce dernier étant considéré plus apte à assurer le bon fonctionnement du marché[11]. De même, le caractère extra-légal des nudges (Calo, 2013 ; Adam Oliver, 2013) s’inscrit dans la continuité de la remise en question du parlementarisme et du formalisme juridique défendu au sein de law&economics par les héritiers de Posner :

« Il s’agit d’une réinterprétation de l’idéal de l’État de droit [celle de la law&economics] qui minimise nombre de ses composantes essentielles – par exemple, l’accent mis sur l’importance de règles claires et générales et le postulat selon lequel la prise de décision judiciaire repose sur une logique et une méthode spécifique – parce que Posner, contrairement à Hayek, comprend que le formalisme juridique entre parfois en conflit avec les impératifs d’une économie de marché capitaliste. Bien entendu, cette découverte aurait pu amener Posner à repenser son attachement dogmatique au point de vue traditionnel selon lequel l’État de droit et le marché libre sont inextricablement liés. Au lieu de cela, elle a simplement généré une conception de l’idée classique du « gouvernement des lois et non des hommes » dans laquelle le « gouvernement des lois » est défendu tant que les lois sont interprétées et manipulées par des hommes et des femmes (c’est-à-dire des juges et des agents de l’administration) qui acceptent la supériorité de l’économie de marché dérégulée. Désormais, le pouvoir discrétionnaire ne pose aucun problème et est même louable, tant qu’il sert l’agenda du conservatisme pro marché libre dérégulé » (Scheuerman, 1997)

Le caractère illibéral de la théorie du nudge, qui trouve sa source dans la remise en question néolibérale du constitutionnalisme libéral, est d’ailleurs illustré par ses appropriations « post-libérale ». Comme nous l’avons mentionné, le fait que la théorie du nudge puisse être mobilisée par A. Vermeule – défenseur de l’intégralisme ayant collaboré avec C. Sunstein – illustre la compatibilité entre paternalisme libertarien et anti-libéralisme.

B. Une incompatibilité entre théorie du nudge et constitutionnalisme libéral

Ainsi, replacer le paternalisme libertarien dans le cadre conceptuel néolibéral rend plausible la possibilité d’un illibéralisme impensé au sein de la théorie du nudge. Bien que le concept de néolibéralisme se révèle partiellement insatisfaisant en raison de ses appropriations multiples, son emploi permet de conceptualiser l’avènement d’un modèle de gouvernement associant Etat fort et marché dérégulé. Ce constat se heurte néanmoins aux revendications des intellectuels néolibéraux, tels que C. Sunstein et R. Thaler, qui défendent la réduction de l’interventionnisme étatique au nom du libéralisme voire du libertarianisme. La difficulté à interroger le caractère « illibéral » du paternalisme libertarien tient en partie au caractère courant de cette grammaire du libéralisme associant étroitement constitutionnalisme et défense du marché dérégulé. Après avoir rappelé que la conceptualisation du constitutionnalisme des défenseurs du marché libre – en particulier chez les héritiers de M. Friedman et de R. Posner –  impliquait une remise en question des principes de légalité et d’équilibre des pouvoirs, il semble possible d’éclairer l’incompatibilité entre la théorie du nudge et le système juridico-politique libéral. En effet, pour les défenseurs du paternalisme libertarien, un nudge est libéral parce qu’il constitue un dispositif moins coercitif pour les individus et moins contraignant pour l’administration que la « loi » (Alemanno, Spina 2014). Indépendamment de la conceptualisation du libéralisme que l’on adopte, on constate donc un conflit entre le paternalisme libertarien et les principes classiques du constitutionnalisme libéral, ce qui a été relevé par la doctrine :

« L’idée d’une réglementation façonnée par l’information comportementale [behaviorally informed regulation] repose au contraire sur une idée fondamentalement différente du pouvoir, dont l’autorité repose également sur l’influence et la persuasion, et non exclusivement sur la coercition. Accepter que l’influence sur les choix des citoyens par le biais d’architecture de choix, ou de stratégies renseignées puisse faire partie de la boîte à outils de l’État administratif nécessite une réflexion approfondie sur la nécessité de soumettre le pouvoir qui en découle à des vérifications, à des contrôles et, si nécessaire, à des restrictions. En particulier, il convient de se demander non seulement dans quelle mesure ces « stratagèmes » [« smart thinking »] peuvent être délégués au pouvoir exécutif, mais aussi quels instruments juridiques devraient garantir les « checks and balances » appropriés à l’exercice de cette nouvelle forme de pouvoir gouvernemental.» (Alemanno, Spina 2014)

Bien que ce conflit soit principalement appréhendé sous le prisme des libertés fondamentales – le seul aspect du constitutionnalisme considéré par C. Sunstein et R. Thaler – il convient également d’appréhender la question du contrôle des nudges. De fait, la théorie du nudge est caractéristique de la disparition de l’idée de contrepouvoirs au sein de la law&economics. Ainsi, bien que l’initiative et le choix des nudges soient l’apanage de l’administration, et plus généralement du pouvoir exécutif, C. Sunstein et R. Thaler ne conçoivent pas la possibilité d’un contrôle juridictionnel ou parlementaire, qu’il soit a priori ou a posteriori de l’implantation et du contenu des nudges. La nature informelle et extra-légale des nudges signifie en effet qu’ils échappent aux contraintes procédurales définissant une norme juridique dans un Etat de droit. La théorie du nudge s’inscrit donc bien dans un cadre théorique faisant de l’exécutif (et de l’administration) le détenteur exclusif de l’autorité étatique, où la problématique des excès de pouvoir n’est pas envisagée. L’incompatibilité entre nudges et constitutionnalisme libéral se révèle donc à différents niveaux en fonction de la tradition juridique dans lesquels ils s’insèrent. Ainsi, en France, il est aisé de constater l’inadéquation entre le droit administratif et la théorie du nudge, puisque les nudges adoptés par l’administration sont qualifiés d’actes administratifs non décisoires et qu’ils sont peu susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux (Sée, 2019). Le fait que les nudges constituent une pratique administrative qui « relèvent d’un angle mort du contrôle juridictionnel » (Sée, 2019) n’est donc pas imputable à la vétusté du droit administratif français mais à la remise en question du rôle des juges au profit des experts au sein de la law&economics. Enfin, le processus d’élaboration des nudges traduit également l’abandon du principe de représentation et la réduction du pouvoir du parlement, puisque les parlementaires ne jouent aucun rôle dans l’adoption de ces derniers. La théorie du nudge s’inscrit donc la continuité de l’anti-parlementarisme de l’idéologie néolibérale.

Le constat de l’incompatibilité entre la théorie du nudge et le constitutionnalisme libéral n’a pourtant pas jusqu’à présent conduit à envisager le caractère « illibéral » de cette technique, à l’exception de brèves mentions dans la littérature s’intéressant à l’illibéralisme (Furedi, 2022 ; Ruiz, 2022). Bien que le concept d’illibéralisme puisse se révéler insatisfaisant en raison des nombreuses appropriations dont il fait l’objet, ce dernier a néanmoins l’intérêt d’éclairer le phénomène de remise en question du constitutionnalisme libéral. Appréhender la théorie du nudge sous le prisme de l’illibéralisme permet selon nous de prendre la pleine mesure des constats et critiques adressés par la doctrine à l’encontre de la théorie de C. Sunstein et R. Thaler. La revendication du libertarianisme par ces derniers pouvant être la source d’un obstacle dans la conceptualisation des nudges, il semble nécessaire de rappeler les implications des conflits entre libéralisme et néolibéralisme pour remettre en question l’impensé selon lequel la théorie du nudge est intrinsèquement libéral. Replacer cette théorie dans le cadre conceptuel néolibéral permet ainsi de reconsidérer la « neutralité » des nudges. Loin d’être l’exception, l’appropriation de ces techniques par des régimes autoritaires et des intellectuels anti-libéraux semble donc directement découler de la nature illibérale du paternalisme libertarien.

Conclusion

À l’encontre de la revendication de la neutralité idéologique des nudges, nous avons cherché à démontrer que le paternalisme libertarien de C. Sunstein et R. Thaler était caractéristique d’un néolibéralisme au potentiel illibéral impensé. En partant du double constat d’un flou sémantique et conceptuel enceignant la labellisation idéologique de la théorie du nudge et d’une incompatibilité entre cette dernière et le système juridico-politique libéral, il nous a semblé nécessaire de mettre en lumière les biais affectant la conceptualisation de la théorie du nudge. Cette dernière permet en effet d’illustrer les implications des différentes conceptualisations du libéralisme et du néolibéralisme.  L’association implicite du libéralisme au néolibéralisme a ainsi pour effet secondaire de dissimuler la redéfinition néolibérale du constitutionnalisme libéral, qui implique une remise en question des principes d’équilibre des pouvoirs et de formalisme juridique. Ainsi, bien que cette remise en question soit particulièrement visible quand on appréhende la théorie du nudge d’un point de vue institutionnel, le constat de cette incompatibilité n’a pas été fait dans sa pleine mesure selon nous. Face à cet angle mort – ou cette réticence – à requalifier la nature idéologique de la théorie du nudge, il nous a semblé pertinent de mobiliser la notion d’illibéralisme. Bien que cette entreprise de labellisation idéologique soit intrinsèquement contestable (et insatisfaisante) en raison de la pluralité de langages du libéralisme, elle permet néanmoins d’attirer l’attention sur le phénomène de remise en question de l’Etat de droit. Le succès exponentiel de la théorie du nudge illustre en effet l’avènement d’un constitutionnalisme néolibéral, reposant sur une nouvelle conception informelle de la norme juridique et une concentration des pouvoirs au profit de l’exécutif.

Annexes : citations en anglais traduites dans le texte

Lepenies, R., & Małecka, M. (2015). The institutional consequences of nudging–nudges, politics, and the law. Review of Philosophy and Psychology, 6(3), 427-437.

« Other nudging policies such as simplification, uses of social norms, increases in ease and convenience, disclosure, warnings, precommitment strategies, reminders, eliciting implementation intentions, informing people of the nature and consequences of their own past choices, are not part of a legal system. This means that they are not codified and thus that the behavioral change of the addressees of nudges is not effected by law. (…) Nudges, introduced not as a part of a legal system, and not as legal norms, are less visible and hard to contest. They do not require political support, parliamentary procedure and debate, and, thus, enable policymakers to influence people’s behavior more quickly, more effectively, and without putting effort into cumbersome legislative and deliberative processes. »

Furedi, F. (2022). Illiberal Liberalism: A Genealogy. Journal of Illiberalism Studies, 2(2), 19-36.

« Illiberal liberals often think of themselves as liberals. But their version of liberalism has little to do with the classical Enlightenment version of this doctrine. Classical liberalism asserts the primacy of the status of the individual and supports its autonomy. It upholds the value of tolerance and freedom in its different forms— from the freedom to own property to the freedom of speech. By upholding the moral worth of all humans, it is both egalitarian and universalistic. Illiberal liberalism, particularly in its current version of identity politics, calls into question the value of these principles and often shows itself to be as intolerant as the authoritarian movements it criticizes »

Scheuerman, W. E. (1997). The rule of law at century’s end. Political Theory, 25(5), 740-760

This is a reinterpretation of the ideal of the rule of law that minimizes many of its crucial components-for example, an emphasis on the importance of clear, general rules and the belief that judicial decision making rests on a distinct logic and method-because Posner, in some contrast to Hayek, understands that legal formalism occasionally conflicts with the imperatives of a capitalist market economy. Of course, this discovery might have led Posner to rethink his dogmatic attachment to the traditional view that the rule of law and the free market are inextricably linked. Instead, it has simply generated a version of the classical idea of the « government of laws and not of men » in which the « government of laws » is defended as long as laws are interpreted and manipulated by men and women (i.e., judges and administrators) who accept the superiority of free market economics. Now, discretion is unproblematic and even praiseworthy-as long as it serves the agenda of free market conservatism. »

Alemanno, A., & Spina, A. (2014). Nudging legally: On the checks and balances of behavioral regulation. International Journal of Constitutional Law, 12(2), 429-456.

The idea of behaviorally informed regulation rests instead on a fundamentally different idea of power whose authority rests also on influence and coax, rather than exclusively on coercion. Accepting that influencing citizens’ choices through design settings or information led strategies can become part of the administrative state’s toolbox calls for a careful reflection on the need to subject the ensuing authority to checks, controls, and, if necessary, restrictions. In particular, one needs to ask not only how much “smart thinking” may be delegated to the executive power but also what legal instruments should ensure the appropriate “checks and balances” on the exercise of this newly formed governmental power

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[1] Nous employons la notion wittgensteinienne de jeux de langage dans la continuité de la notion de « web of beliefs » développée par M. Bevir. Sur ce point, voir : Bevir, M. (2000). The logic of the history of ideas. Rethinking History, 4(3), 295-300.

[2] Nous ferons ici principalement référence à la théorie développée dans l’ouvrage paru en 2009 : Thaler, R. H., & Sunstein, C. R. (2009). Nudge: Improving decisions about health, wealth, and happiness. Penguin.

[3] Nous traduisons, les citations originelles sont à consulter en annexe de l’article.

[4] Sur ce point, voir : Vermeule, A. « integration from within », American affaire journal, 2018,  cité par : Chappel, J. (2020). Nudging Toward Theocracy: Adrian Vermeule’s War on Liberalism. Dissent, 67(2), 41-48.

[5] Sur ce point, voir les nombreuses critiquées adressées à l’encontre des thèses de C. Sunstein et R. Thaler sur le site du Mises Institute. A titre d’exemple : « Staddon, J. 2021 « Nudging » Policy Is about Control, Not Freedom ».

[6] « In recent times, the social-engineering ambitions of new liberalism have assumed their most systematic form in the doctrine of “libertarian paternalism. » Furedi, 2022.

[7] « Illiberal liberals often think of themselves as liberals. But their version of liberalism has little to do with the classical Enlightenment version of this doctrine. Classical liberalism asserts the primacy of the status of the individual and supports its autonomy. It upholds the value of tolerance and freedom in its different forms— from the freedom to own property to the freedom of speech. By upholding the moral worth of all humans, it is both egalitarian and universalistic. Illiberal liberalism, particularly in its current version of identity politics, calls into question the value of these principles and often shows itself to be as intolerant as the authoritarian movements it criticizes » Ibid.

[8] Bien que la pensée de F. Hayek soit connu de C. Sunstein et R.Thaler comme l’atteste certaines de leurs citations dans des articles ultérieurs, l’ouvrage de 2009 ne mentionne aucun de ses travaux. Il semble opportun ici de faire le lien avec la critique adressée par F. Hayek et L. Mises à l’encontre de M. Friedman, puisque selon eux ce dernier n’était pas un véritable économiste en raison de son adhésion au paradigme néo-classique, ce qui relativisait également son opposition avec les sociaux-démocrates et les keynésiens selon eux. Sur ce point, Voir Audier, S. 2012, Op cit.

[9] Sur les positions radicalement hostiles de Hayek vis-à-vis de la psychologie comportementale et du « behaviorisme », voir Audier, S. (2015). Penser le «néolibéralisme». Le moment néolibéral, Foucault, et la crise du socialisme. Bord de l’eau (Le)., p118. Hayek va ainsi jusqu’à présenter la psychologie comportementale comme la réalisation d’un cauchemar totalitaire digne du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley.

[10] On peut trouver un exemple de ce type de raisonnement dans l’article de N. Gane (2021).

[11] Voir notamment : Sunstein, C. R., & Vermeule, A. (2008). Conspiracy theories. Cité par Chappel, J. op cit. Sur le lien entre law&economics et concentration des pouvoirs en faveur de l’exécutif, voir à titre d’exemple : Posner, Eric A., et Adrian Vermeule. 2011. The Executive Unbound: After the Madisonian Republic. Oxford University Press.

Author :

Raphaël DEMIAS-MORISSET est doctorant et ATER en science politique à l’Institut de Recherche Montesquieu (CMRP-IRM), Université de Bordeaux