Alternance ou transition ? Les stratégies de
contentious politics dans la Pologne d’après 2023
Frédéric Zalewski
Résumé
Cet article analyse l’alternance polonaise de 2023, au terme de laquelle le parti conservateur et souverainiste PiS (Prawo i Sprawiedliwość, Droit et Justice) a perdu le pouvoir, après huit ans au gouvernement. Durant les premières semaines de cette nouvelle situation politique, le PiS a opté pour des stratégies de contentious politics, pour tenter de résister au démantèlement des cadres juridiques et institutionnels qu’il avait mis en place. Des députés du PiS ont ainsi tenté de résister aux nominations effectuées au ministère de la Justice, occupé les locaux des médias publics et tenté de forcer l’entrée du Parlement à deux députés de leurs rangs déchus de leurs mandats. Pour appréhender ces stratégies de contestation de l’alternance, cet article s’appuie sur les notions de conjoncture fluide et de transactions collusives, plutôt que sur les outils d’analyse issus des études de démocratisation et des transitions, qui sont discutées sur certaines de leurs assertions. Cette perspective permet, dans les deuxième et troisième parties du texte, de contextualiser et d’historiciser les alliances stratégiques et normatives entre les partis pro-démocratie et la magistrature et d’examiner les mobilisations contre la corruption comme espaces de stabilisation de la concurrence politique. Au total, les stratégies de contentious politics du PiS peuvent s’éclairer par un ensemble de réformes de retour à l’État de droit qui rétablissent dans leur autonomie des secteurs sociaux que le PiS avait politisés entre 2015 et 2023.
Abstract
This article analyses the change of leadership in Poland in 2023, when the conservative, sovereignist PiS (Prawo i Sprawiedliwość, Law and Justice) party lost power after eight years in government. In the first weeks of this new political situation, the PiS opted for strategies of contentious politics in an attempt to resist the dismantling of the legal and institutional frameworks it had put in place. PiS deputies attempted to block appointments to the Ministry of Justice, occupied the buildings of the public media and attempted to force the entry into parliament of two of their own deputies who had been stripped of their mandates. In order to understand these strategies of contesting alternation, this article relies on the notions of fluid conjuncture and collusive transactions rather than on the analytical tools derived from democratisation and transition studies, some of whose claims are discussed. This perspective makes it possible, in the second and third sections of the text, to contextualise and historicise the strategic and normative alliances between the pro-democracy parties and the judiciary, and to examine the mobilisations against corruption as areas for stabilizing political competition. All in all, the PiS’s strategies of contentious politics can be explained by a series of reforms aimed at restoring the rule of law and the autonomy of social spheres that the PiS politicised between 2015 and 2023.
How to cite
Zalewski, Frédéric. 2024. Nomopolis 02 – Alternance ou transition ? Les stratégies de contentious politics dans la Pologne d’après 2023. Nomopolis 2.
Le 15 octobre 2023, la coalition libérale et pro-européenne dirigée par Donald Tusk, ancien Premier ministre polonais et ancien président du Conseil européen, remportait les élections législatives polonaises, marquant ainsi la fin de huit de pouvoir souverainiste et anti-libéral du PiS (Prawo i Sprawiedliwosc, Droit et Justice). La liste menée par Tusk lui-même remportait 30,70% des voix, tandis que ses alliés centristes de la Troisième Voie (Trzecia Droga) obtenaient 14,40% et la Gauche (Lewica), 8,61%. Ainsi unie, l’opposition alignait 248 députés, contre 194 sièges au PiS, lui ouvrant alors la voie de la formation d’un gouvernement[1]. Cette victoire électorale s’appuyait sur une dynamique inédite depuis 2016. Si, après de longs atermoiements, les principaux partis d’opposition n’étaient pas parvenus à s’accorder sur une liste unique, ils s’étaient rangés au leadership de Donald Tusk, revenu en politique nationale après la fin de son mandat à la présidence du Conseil européen en 2019. En juin 2023, puis en septembre suivant, Donald Tusk avait réussi à organiser de très puissantes manifestations en faveur de la démocratie, amorçant ainsi la mobilisation électorale exceptionnelle du 15 octobre 2023 (avec 74,38% de participation, contre 61,14% lors des législatives précédentes, en 2019). Dans la ville de Wrocław, un bureau de vote était même resté ouvert jusqu’à trois heures du matin pour permettre aux électeurs massés à l’extérieur de tous voter, sous les feux des médias qui en firent le symbole du sursaut civique des Polonais. Last but not least, un arrêt de Tribunal constitutionnel – très largement remodelé par le PiS après 2016 – avait introduit en 2020 de nouvelles restrictions au droit à l’interruption volontaire de grossesse, replaçant ainsi cet enjeu dans l’agenda électoral de façon très défavorable au PiS.
Ce dernier, cependant, était loin d’être défait, puisqu’il a rassemblé 35,38% des suffrages, ce qui correspond davantage à son étiage bas qu’à un recul massif dans l’électorat. Malgré une érosion des votes en sa faveur dans certains de ses bastions, le PiS a conservé près de 90% de ses électeurs de 2019 (Pawlowska & Ulhig, 2023). La mobilisation exceptionnelle des jeunes électeurs (68,8% de participation dans la tranche 18-29 ans, contre 46,4% en 2019), très largement en faveur de l’opposition (moins de 15% pour le PiS), laisse penser que les résultats sont davantage le produit de la sanction que de l’abstention[2] ou de la défection, dont la triple combinaison et le cumul sont vus par certains travaux comme l’explication des déconvenues électorales des pouvoirs autoritaires (Slovik, 2023).
Quoiqu’en retrait, le résultat du PiS en faisait néanmoins le premier groupe parlementaire à la Diète, point de départ d’une lecture du scrutin lui permettant de contester le statut de vainqueur à la coalition libérale et pro-démocratie. Dès la soirée électorale du 15 octobre, devant une foule électrisée, le dirigeant du PiS, Jarosław Kaczyński déclarait : « c’est la quatrième victoire de notre parti, et la troisième à la suite. C’est un grand succès de notre formation et de notre projet pour la Pologne. Toute la question est de savoir si nous pourrons traduire ce succès en nouvel exercice de gouvernement ». Concrétisant cette ligne, le président Andrzej Duda, lui-même issu du PiS, confiait à Mateusz Morawiecki, Premier ministre depuis 2017, la mission de former un nouveau gouvernement (cette tentative s’est cependant soldée par un échec lors du vote de confiance, ouvrant la voie à l’investiture du gouvernement Tusk le 13 décembre 2023).
Le PiS peut ainsi passer pour un « mauvais perdant », qui rompt avec l’une des règles du jeu démocratique consistant à reconnaître sa défaite. Rappelons que selon la formule fameuse d’Adam Przeworski, « la démocratie est un système dans lequel les partis perdent les élections » (Przeworski, 1991: 10). En d’autres termes, si l’on suit la lecture stratégique de cet auteur, les acteurs sont enclins à concéder la défaite car ils reportent la satisfaction de leurs intérêts à l’échéance électorale suivante. Przeworski ne propose cependant pas de modèle interprétatif des motifs pour lesquels certains partis peuvent délibérément porter atteinte à la confiance dont jouissent les procédures démocratiques. Il se borne à souligner que ces conduites sont de nature à fragiliser la démocratie. À rebours de cette thèse de l’affaiblissement normatif de la démocratie, cet article entend explorer les compétitions politiques au sein desquelles les normes démocratiques apparaissent labiles et objet même du rapport de force. Précisons ainsi que pour contester l’alternance, le PiS fait le choix radical de la confrontation ouverte et parfois violente, mais qu’il ne cesse pas pour autant d’affirmer la conformité de son action au droit ; règles normatives formelles et règles pragmatiques[3] de compétition politique se mêlent ainsi dans les luttes politiques consécutives aux législatives d’octobre 2023 (Bailey, 1971).
Cet article appréhende cette alternance inédite dans ses formes, du moins dans la Pologne post-communiste, comme une conjoncture critique, marquée par l’irruption de sites de fluidité politique (Linz, 1978 ; Dobry, 1986). Non seulement le PiS a contesté les résultats des élections, mais il a aussi créé des espaces de confrontation ouverte, par des manifestations, par des occupations de locaux, par des échauffourées au Parlement, pour produire publiquement des soutiens alternatifs à ceux des élections. Ces espaces apparaissent ainsi comme ceux où se déploie la contestation des normes démocratiques, mais ils constituent aussi, en eux-mêmes, des lieux de reproduction de ressources, à travers la conquête de trophées intermédiaires, que l’on pourra qualifier de trophées de contrôle (Bailey, 1971). En outre, leur forme délibérément conflictuelle s’inscrit dans une stratégie de massification de la contestation, pour lui adjoindre une composante populaire (Tarrow & Tilly, 2008). Si l’alternance polonaise de 2023 n’a guère été étudiée à ce jour, l’aborder sous l’angle des stratégies conflictuelles du PiS présente l’intérêt d’instaurer un dialogue avec un corpus de travaux sur les contentious politics du post-communisme (Kopecky & Mudde 2003 ; Platek, 2024). En attirant l’attention sur les heurts politiques et sociaux du post-communisme, ces travaux opposent aux conceptions parfois iréniques des transition studies la matérialité des mobilisations contestataires qui ont émaillé les processus du sortie des communisme à l’Est. Même s’ils conservent parfois une dimension normative en identifiant la « face sombre » d’une société civile parée des vertus du pluralisme (Howard, 2002 ; Mudde, 2003), ils invitent ainsi à prendre aux sérieux ces conflits et à ne pas le tenir arbitrairement hors du périmètre des mobilisations politiques ordinaires.
Cette stratégie du conflit n’est pas aussi inédite qu’il peut y paraître. Rappelons que le parti de Donald Tusk avait agi de même pendant ses années d’opposition, en particulier lors de la crise parlementaire de 2016 lorsqu’il avait occupé l’hémicycle de la Diète pour défendre les prérogatives des parlementaires et dénoncer les atteintes à la liberté de la presse (Zalewski, 2021). À partir de décembre 2023, ces conflits surviennent dès lors qu’une série de coups politiques et de stratagèmes du gouvernement de Donald Tusk prend le PiS par surprise et le conduit à durcir sa stratégie. Ceci n’implique pas, à nos yeux, que le non-respect des normes et des procédures démocratiques soit équivalent chez ces deux acteurs (Przeworski, 1991). Il s’agit plutôt de souligner que le PiS puise dans un ensemble de représentations de coups qu’il est possible et « payant » de jouer dans d’autres arènes de confrontation[4] que celles définies par les jeux démocratiques ordinaires, en s’appuyant sur un répertoire de contestation dont les prémisses peuvent ainsi être repérées dans des luttes politiques antérieures.
Dans une première partie, ce texte examinera les contours des arènes de contestation formées par le PiS pour retourner à son profit sa défaite aux élections de 2023. Ces arènes ne seront cependant pas étudiées pour elles-mêmes, mais pour spécifier certaines des propriétés des jeux politiques de l’alternance. En effet, la contestation du PiS n’est pas réductible à un « baroud d’honneur » ou à une « grogne » passagère, elle produit des effets sur la structure même de la compétition politique. Le texte sera ainsi attentif à souligner l’affaiblissement des règles collusives qui régulent et stabilisent les jeux politiques, et à travers lesquelles les acteurs, dans les conjonctures démocratiques ordinaires, tiennent pour acquis un répertoire de coups qu’il est admis de jouer, tandis que d’autres sont perçus comme illicites (Bailey, 1971 ; Dobry, 1986). Cette hypothèse permet de prolonger l’analyse, dans les parties suivantes, des variations d’autres règles collusives, en particulier entre les acteurs politiques et ceux du secteur judiciaire. La deuxième partie se focalisera ainsi sur les stratégies de rétablissement de l’État de droit adoptées par le nouveau gouvernement, en tant qu’elles constituent pour les libéraux une mise à l’épreuve de leurs alliances, nouées après 2016, avec le monde de la magistrature. Enfin, une troisième partie reviendra sur l’une des politiques suivies depuis 2023 par le gouvernement Tusk, résidant dans un volet judiciaire et pénal au rétablissement de l’État de droit. Justifiée par des engagements électoraux à sanctionner les fraudes commises par les représentants du PiS, cette stratégie se déploie sur le terrain polémique des « affaires », instituées depuis les années 2000 comme ressource politique nouvelle (Heurtaux, 2009)[5]. Or, suivant une logique confinant à l’escapisme, les affrontements autour des « affaires » semblent redonner aux acteurs des repères pour retourner à des calculs dont les coûts et les avantages sont plus familiers et plus prévisibles.
Même si la perspective adoptée dans cet article n’épuise pas l’étude de l’alternance en Pologne, elle permet néanmoins d’en souligner des propriétés structurelles qui offrent un point de vue inédit sur les sorties de pouvoirs néo-autoritaires. Les conduites de « mauvais perdants » que l’on peut y observer ne peuvent pas être mécaniquement rapportées aux préférences idéologiques des acteurs, à leur identité « populiste » présumée, dans la mesure où elles signalent une superposition de principes de luttes politiques nouveaux sur les règles routinières de la concurrence démocratique. Cet article entend ainsi prolonger l’analyse sociologique des transformations post-communistes en Pologne, davantage que s’inscrire dans des discussions sur les régimes dits « illibéraux », dont les approches existantes ne traitent du reste pas, pour l’heure, de leurs reflux (Laruelle, 2022).
I. LES ARENES DE CONTESTATION DE L’ALTERNANCE : INVENTAIRE PARTIEL
Cette section va tracer les contours de trois arènes de contestation de l’alternance, qui se sont formées comme lieux privilégiés de l’action entre décembre 2023 et février 2024. Avant d’en venir à leur présentation, une brève discussion s’impose pour préciser le statut de ces espaces. On peut envisager les arènes comme des sites de concurrence ou de compétition, faiblement institutionnalisés mais matérialisés par la mise des acteurs pour conserver, reproduire ou convertir leurs ressources, quitte à prendre délibérément certains risques stratégiques. Ces arènes sont indexées aux ressources pertinentes dans l’espace politique, mais elles se forment dans l’échange de coups, dès lors qu’une manœuvre habile de l’un des compétiteurs contraint les autres à riposter pour rester dans le jeu ou ne pas voir dévaluées leurs ressources (Bailey, 1971 ; Dobry, 1986). En d’autres termes, si le PiS a entrainé les jeux de l’alternance dans des confrontations ouvertes, c’est au fil d’échanges de coups dont il n’était pas l’initiateur exclusif, comme on le verra. Par ailleurs, si cette section discute de la dynamique de trois arènes en particulier, cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas davantage, ni qu’il ne serait pas possible d’en identifier des ramifications secondaires autour d’échanges de coups latéraux. En revanche, le PiS les a massivement investies pour subvertir l’alternance et saturer l’espace politique, même s’il ne parvient pas à les massifier ni à en faire les « têtes de pont » d’une extension de sa contestation, par des effets d’alignements contestataires homologues dans d’autres espaces sociaux (Dobry, 1986: 115). Enfin, on l’a souligné, la présentation de ces arènes n’est pas la finalité de l’analyse, celle-ci doit permettre, dans un second temps de cette section, de spécifier certaines propriétés structurelles des jeux politiques « post-autoritaires ».
La situation dans laquelle s’est trouvé le gouvernement Tusk à partir de décembre 2023 s’apparente à un dilemme stratégique. Pour conserver son crédit, il se devait d’agir énergiquement et sans délai dans les domaines qui avaient porté les partis d’opposition au pouvoir, en l’occurrence le rétablissement de l’État de droit et le retour au pluralisme dans les médias publics. Des mesures rapides étaient indispensables pour la crédibilité du gouvernement auprès des organisations pro-démocratie de la « société civile » qui avaient fait de la coalition menée par Tusk le débouché de leurs revendications. Donald Tusk était également lié par un autre engagement, celui de débloquer les aides européennes du « plan de relance », gelées à la suite de l’activation par la Commission européenne de l’article 7 du Traité de l’Union européenne (TUE). Donald Tusk et ses alliés étaient ainsi tenus par la temporalité courte de la matérialisation de l’ensemble des engagements pris pendant la campagne. Cela s’est traduit par la présentation par le nouveau ministre de la Justice, Adam Bodnar, d’un action plan (selon les termes mêmes de la communication du ministre) dans des délais très brefs, mais dont mise en œuvre reposait cependant sur le temps plus long du processus législatif. Pour hâter les réformes et se dégager du piège de cette concurrence entre agendas, le gouvernement Tusk a alors eu recours à une série de stratagèmes qui ont tout autant dérouté que défié le PiS.
Adam Bodnar a rapidement évincé le « personnel de confiance » mis en place par le PiS, en particulier le procureur général Dariusz Barski. Ce dernier avait déjà exercé ces fonctions entre 2005 et 2007, lorsque Kaczyński était Premier ministre. Élu député PiS en 2011, Barski passait pour proche du ministre de la Justice en place entre 2016 et 2023, Zbigniew Ziobro, dont il avait été le témoin de mariage. Son départ impliquait cependant que son remplaçant soit formellement nommé par le président Andrzej Duda, affilié, rappelons-le, au PiS, dans la mesure où il s’agit d’une prérogative présidentielle. Adam Bodnar s’est alors fondé sur un rapport de trois juristes indépendants soulignant opportunément qu’un magistrat officiellement à la retraite, comme c’était le cas de Barski en 2016, ne pouvait pas accéder aux fonctions de procureur général. Dès janvier 2024, Barski a ainsi été évincé par simple décision administrative, court-circuitant le président Duda (Jaloszewski, 2024 a ; 2024 b ; Wencel, 2024).
La décision de Bodnar a conduit à la formation de la première arène ici analysée. Ses contours ont été ceux d’une controverse publique, mobilisant principalement des interprétations concurrentes du droit mais aussi des arguments plus politiques, relatifs à l’autoritarisme supposé du gouvernement Tusk. Ainsi, dès janvier 2024, le président Duda a affiché son soutien à Dariusz Barski. En mars suivant, Duda a adressé une lettre à Donald Tusk dans laquelle il soulignait que le successeur de Barski n’avait pas été régulièrement nommé, déplorait l’approfondissement du « chaos juridique » en Pologne et enjoignait le Premier ministre à se conformer à l’avis du Tribunal constitutionnel sur la répartition des compétences entre gouvernement et président (Ambroziak, 2024). Le thème normatif du « chaos juridique » est par la suite amplement repris par les soutiens du président et du PiS. L’un des conseillers d’Andrzej Duda, le sociologue Andrzej Zybertowicz, déclarait dans un entretien radiophonique que « personne ne peut douter que s’installe un dualisme juridique qui ne peut déboucher que sur un chaos juridique », avant d’ajouter que Tusk semblait prêt à « mutiler la démocratie » (Wnet, 2024). Dans un entretien au quotidien catholique ultra-conservateur Nasz Dziennik, un député du PiS au Parlement européen livrait sans fard les appariements idéologiques ouverts par cette casuistique juridique, en soulignant que les agissements de Tusk s’apparentaient à « une violation de l’État de droit, et donc à toutes les caractéristiques d’une tyrannie, comme nous en avons connu à l’époque du communisme le plus profond » (Kamieniecki, 2024).
Les affrontements dans cette arène restent dans l’ensemble conventionnels, relatifs à des échanges polémiques dans les médias ou les réseaux sociaux. Ils sont cependant déjà ponctués d’épisodes plus disruptifs, par exemple lorsque Barski tente de pénétrer dans les locaux du ministère en septembre 2024, pour pouvoir prétendre en avoir été refoulé, avant d’être reçu par Andrzej Duda, le tout dans une mise en scène accrocheuse pour les médias (Bromber, 2024). Dans cet échange de coups, le PiS tente de porter atteinte à la crédibilité démocratique du gouvernement Tusk, en retournant à son profit les attaques dont il avait été l’objet concernant sa dérive anti-démocratique. La plasticité discursive des catégories mobilisées assure ainsi leur efficacité dans la controverse, permettant un « retour à l’envoyeur » payant des accusations d’autoritarisme (Roussel, 2009). Mais surtout, l’appariement ce thème à celui de l’anticommunisme conduit à une actualisation du lieu commun faisant des libéraux et de Tusk les fourriers d’un ordre politique honni, héritier du communisme.
Une autre arène se forme autour de la réforme des médias publics et se présente comme plus disruptive, en étant formée en partie autour d’occupation de locaux par les tenants du PiS. Revenons, pour le comprendre, sur les conditions dans lesquelles le gouvernement Tusk a réformé les médias. Le nouveau ministre de la Culture, Bartlomej Sienkiewicz, se trouvait en l’occurrence face aux verrous institutionnels posés par le PiS pour s’emparer des médias publics et a choisi de les contourner pour en démanteler la gouvernance. Ainsi, le 19 décembre 2023, le ministre a fait voter par la Diète une motion sur le retour au pluralisme dans les médias, qui lui a permis d’agir immédiatement, en nommant de nouveaux présidents à la tête des différents média concernés et en révoquant leurs conseils d’administration. Cette décision fait naître une controverse mobilisant là encore des arguments et des procédures juridiques. Le 20 décembre, le président Duda a mis en garde le Premier ministre, en l’appelant à respecter la légalité dans la gouvernance des médias. Deux jours plus tard, l’instance de régulation des médias publics mise en place par le PiS en 2016, le RMN (Rada Mediów Narodowych, Conseil des médias nationaux) s’est tourné vers la justice pour contester l’installation des nouveaux conseils d’administration. Parallèlement, l’instance de régulation des médias qui préexistait à la mise en place du RMN, le KRRiTV (Krajowa Rada Radiofonii i Telewizji, Conseil national de Radiodiffusion-télévision) a également saisi la justice pour faire annuler la procédure du RMN. Le 23 décembre, le président Andrzej Duda a annoncé mettre son véto à la loi de finance, ce qui permettait de bloquer les fonds destinés aux médias publics. En réaction, le ministre de la Culture annonçait, le 27 décembre, mettre en liquidation judiciaire les entreprises concernées, en se fondant – à la surprise générale – sur le droit des affaires. Dans leur ensemble, les agissements du ministre Sienkiewicz visaient à prendre de vitesse le PiS. La « prise de guerre » que constituait le contrôle des instances dirigeantes des différents médias concernés était un défi direct au PiS, en anéantissant par un coup inattendu les ressources qu’il avait accumulées pour les contrôler. Or, ce coup a introduit une certaine incertitude stratégique, face à laquelle le PiS a répondu par un investissement inédit de ressources dans une série d’affrontements ouverts (Bailey, 1971).
Le 20 décembre 2023, les députés du PiS se sont en l’occurrence prévalu d’un droit de « contrôle parlementaire » pour investir les locaux des médias publics, ceux de la télévision publique, de l’agence TAI (Telewizyjna Agencja Informacyjna, Agence publique d’Information télévisuelle) et de l’agence de presse PAP (Polska Agencja Prasowa, Agence de presse polonaise). Les députés, au nombre de 150 environ, se sont réclamé de ce « droit » pour effectuer des contrôles d’identité et refuser l’accès aux bâtiments au nouveau personnel dont ils jugeaient la présence illégale. Dès le lendemain, de petits rassemblements de soutien , composés de citoyens ordinaires, se sont formés à l’extérieur (et dans quelques villes de province), avec des slogans tels que « Liberté de la presse », « Constitution » ou « À bas la propagande ». Le 24 décembre au soir, le tour de garde des députés a été assuré par Jarosław Kaczyński lui-même (Uhlig, 2023 ; Boczek, 2023). Le PiS a pu ainsi faire une démonstration de ses capacités de mobilisation, en mettant dans la rue ses propres parlementaires, mais aussi ses soutiens parmi la population, ainsi que ses alliés au sein des médias, en déléguant aux journalistes qu’ils avait mis en place le soin d’assurer une partie de ces occupations. Il reste peu probable que les dirigeants du PiS aient sérieusement escompté de cette mobilisation un recul du gouvernement, a fortiori un retournement complet de situation. En revanche, ils en tiraient le bénéfice symbolique de donner de l’épaisseur à leur stratégie d’universalisation de leur discours, en reliant la dénonciation des dérives autoritaires supposées de Tusk à celles d’attaques contre la liberté de la presse, tout en ayant imposé une épreuve à la nouvelle majorité, qui a été contrainte de s’interroger sur l’opportunité de faire intervenir la police (après quelques velléités d’intervention au soir des premières occupations, la police maintient ensuite une présence plus souple, s’en tenant à prévenir tout débordement sur la voie publique et sans pénétrer dans les locaux).
Comme on va le voir avec la troisième arène ici explorée, nettement plus disruptive que les précédentes, ces deux éléments étaient indispensables pour tenter de massifier les protestations et leur donner une dimension expressive d’appartenance aux « vrais Polonais », dont le PiS revendique la représentation exclusive. Un autre conflit a en effet émergé dès décembre 2023, lorsque deux député du PiS, Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik, ont été condamnés en appel à des peines de deux ans de prison, assorties de la perte de leurs mandats électifs[6]. Or, après une condamnation en première instance, le président Andrzej Duda les avait graciés, en 2016. En décembre 2023, une controverse juridique est donc apparue, lorsque le PiS a prétendu que le jugement en appel était sans valeur du fait de la grâce présidentielle. La justice, en revanche, avait considéré qu’elle restait compétente car les grâces présidentielles ne pouvaient être prononcées qu’une fois épuisées toutes les voies de recours (Pacewicz, 2024). Le 9 janvier 2024, face à l’imminence d’une arrestation destinée à faire exécuter ces peines, Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik ont usé d’un stratagème rocambolesque en se réfugiant dans le palais présidentiel, prétextant une visite de courtoisie à Andrzej Duda (qui était absent), avant d’être mis aux arrêts le soir même. Le 23 janvier suivant, le président Duda reculait en décidant de gracier Kamiński et Wąsik une seconde fois[7].
Toutefois, le 7 février 2024, des échauffourées se sont produits devant la Diète, marquant ainsi la survenue d’épisodes de violence dans ces contestations. En effet, à cette date Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik se sont présentés à la Diète pour y exercer leurs mandat de députés, accompagnés des principaux chefs du PiS, dont Kaczyński. Les députés ont alors tenté de forcer le cordon policier, dans une bousculade confuse et véhémente (Czuchnowski et al. 2024). Estimant que les forces de l’ordre avaient subi des violences, la présidence de la Diète a engagé des sanctions financières contre sept députés du PiS (Sieńkowski, 2024).
La simultanéité de la formation de ces arènes constitue l’une de leurs principales propriétés : en permettant aux participants de synchroniser leurs activités, elles prennent une ampleur supplémentaire et font émerger des ressources inédites. À deux reprises, le 11 janvier 2024 puis le 10 février suivant, le PiS a organisé des « marches des Polonais libres », l’une à la Diète et l’autre au Tribunal constitutionnel, en mobilisant des soutiens populaires « ordinaires ». Ces manifestations ont permis de construire comme unique les diverses protestations en cours. Celles-ci pouvaient être présentées publiquement comme une défense de l’État de droit, elle-même justifiant d’épouser la cause de Wąsik et Kamiński, présentés comme des victimes et comme des « prisonniers politiques » comparables aux dissidents persécutés par le pouvoir communiste avant 1989. Cette stratégie permettait tout à la fois d’universaliser la cause du PiS, afin de l’énoncer dans le langage de la défense de la Pologne et « vrais Polonais », réputés anticommunistes, de rétablir Wąsik et Kamiński dans leur grandeur civique et de reconvertir en alliés de poids des acteurs en apparence disqualifiés (Boltanski & Thévenot, 1991 ; Bailey, 1971).
Le panorama de ces trois arènes d’affrontements permet quelques conclusions intermédiaires sur l’orientation prise par les jeux politiques d’après décembre 2023. L’alternance se radicalise ainsi très rapidement, dès que le gouvernement Tusk parvient à neutraliser les dispositifs qui garantissaient au PiS de conserver des positions de force dans différents secteurs de l’État. Les arènes de confrontation émergent quand le gouvernement recourt à des stratagèmes politiques et juridiques, par des usages inattendus du droit. La mise en conflit ouvert de la situation par le PiS répond ainsi à l’habileté stratégique des réformateurs libéraux. Or, ceci n’est pas sans rappeler les jeux de transition, définis par Adam Przeworski comme une « situation stratégique qui survient quand une dictature s’effondre » (Przeworski, 1991: 37). Dans le sillage de cette approche « transitologique », le PiS pourrait également être abordé sous l’angle de sa déloyauté envers une démocratie en voie de (re)consolidation, la loyauté envers la démocratie étant définie par Juan Linz comme « engagement pour les institutions démocratiques, c’est-à-dire loyauté envers quiconque, dans le respect des procédures formelles, détient des droits à gouverner, indépendamment des choix politiques qu’il fait, étant entendu, naturellement, que ce gouvernement respecte les libertés publiques, le processus démocratique et la tenue d’élections libres. » (Linz, 1978: 161).
Quels seraient le contours de cette déloyauté ? En s’inspirant de stratégies d’occupation de la rue, en s’arrogeant des droits sur la libre circulation des personnes, en faisant obstacle aux décisions d’un gouvernement élu démocratiquement, le PiS dérogerait en l’occurrence aux règles entendues entre adversaires politiques, selon lesquelles ce type de coups sort de la compétition régulière et admise. Aux yeux de certains auteurs, pareilles conduites constituent des écarts par rapport à la civilité démocratique et relèvent de la « société incivile » (Kopecky & Mudde, 2023). Ce registre d’interprétation n’est cependant pas sans complications analytiques. Selon Laurence Whitehead, la société incivile se glisse dans des interstices entre société civile et société politique, de la part d’individus ou de groupes jouissants de leurs droits citoyens mais indifférents aux règles de la délibération démocratique (Whitehead, 1997). Cet auteur convient cependant qu’ainsi définie, la notion de société incivile reste normative dans la mesure où elle désigne, en creux uniquement, des espaces qui ne se conforment pas aux règles de la société civile. Petr Kopecky propose par conséquent d’abandonner toute définition trop restrictive de la société incivile, pour l’appréhender sous l’angle de la distinction entre formes conventionnelles et non-conventionnelles de protestation, lesquelles ne sont pas toujours violentes, tout en les indexant aux répertoires existants de mise en conflit ouvert des oppositions politiques (Kopecky, 2003).
Cette distinction présente l’avantage de dépasser l’opposition stérilisante entre société civile et société incivile, mais les lignes de conduite conflictuelles du PiS semblent devoir être abordées relationellement, leur valeur n’apparaissant pleinement qu’en fonction des anticipations des autres acteurs. Les jeux politiques ordinaires sont en effet orientés par un accord tacite, de type collusif, portant sur l’interêt mutuel des acteurs à « retenir leurs coups » et à ne pas faire usage de toutes les ressources dont ils disposent, et ce pour maintenir la concurrence politique dans un périmètre prévisible, où aucun coup ne déstabilise les conditions mêmes de la compétition (Bailey, 1971 ; Dobry, 1986). Or, si le PiS prend le risque d’affaiblir les règles collusives de la concurrence politique, c’est dans un contexte où son capital politique diminue et où certains de ses leaders, à commencer par Kaczyński, peuvent voir leur autorité contestée dans leurs propres rangs. Mobiliser la notion d’arène permet donc de souligner que le PiS forme délibérément des sites de concurrence alternatifs, fonctionnant comme espace de ressources lui permettant de conquérir des trophées de contrôle, qui lui permettent à la fois de contrôler la valeur de ses ressources et de tenter de garder la main sur la temporalité de la compétition politique (Bailey, 1971: 164).
Si l’on se fonde sur l’émergence de ces arènes de contestation, l’un des traits de la situation « post-autoritaire » polonaise pourrait donc résider dans l’affaiblissement (davantage que l’effondrement) des règles collusives de la concurrence politique. S’il peut sembler banal, de prime abord, de souligner que la rue ou la manifestation peuvent constituer des espaces de ressources alternatifs aux espaces institutionnalisés de la démocratie libérale, ces différents sites d’action sont en revanche rarement vus comme poreux les uns aux autres. Dans le cas polonais, le répertoire des contestations peut être historicisé, comme on l’a rappelé : les stratégies du PiS font écho à celles de la crise parlementaire de 2016, quand les députés libéraux avaient occupé l’hémicycle de la Diète et avaient eux aussi tenté (et réussi, contrairement au PiS) de massifier la contestation par des manifestations de rue (Zalewski, 2021). Ce répertoire peut renvoyer à des représentations élargies du conflit en Pologne, ce que le texte évoquera dans ses remarques conclusives.
II. LA SOLIDITE DES ALLIANCES NORMATIVES : LES LIENS AVEC LA MAGISTRATURE APRES L’ALTERNANCE
Après octobre 2023, le gouvernement Tusk s’est engagé, on l’a souligné, dans une « guerre de mouvement »[8] contre le PiS, dont l’enjeu est la capacité d’agir contre les divers verrous juridiques et politiques mis en place après 2015 pour rendre irréversibles les transformations antilibérales de l’État. Or, cette situation conduit à une redéfinition des alliances stratégiques entre les libéraux et la magistrature. Ces « flottements » dans les liens collusifs entre les acteurs, autrement dit dans les alignements normatifs et stratégiques entre acteurs relevant d’univers sociaux distincts (Dobry, 1986), constituent l’une des propriétés constitutives de l’alternance en cours ; elle apparaît facteur d’incertitude aux yeux des acteurs impliqués dans les luttes pour en établir le sens politique, comme en attestent certains appels à la « stabilité » (Kuisz & Wigura, 2023).
Pour comprendre la partie qui s’est engagée, il convient de faire un bref détour par les principales réformes de la justice menées par le PiS avant 2023. La première a résidé dans une offensive contre l’indépendance de la justice constitutionnelle, lorsque le PiS a remplacé, dès 2015, par de nouveaux juges ceux que la précédentes législature avaient nommés. Si la Commission de Venise[9] a par la suite estimé que l’ensemble des ces nominations, sur plusieurs législatures, était entaché d’irrégularités, le PiS a également introduit dans une nouvelle loi une disposition permettant aux juges qu’il avait nommés, par une astuce sur le quorum, de bloquer les travaux du Tribunal constitutionnel. Cette politisation du Tribunal constitutionnel avait entraîné les manifestations massives de 2016 en faveur de la défense de la démocratie. La deuxième réforme d’ampleur entreprise par le PiS a porté sur le Conseil national de la Magistrature (Krajowa Rada Sądownictwa, KRS). En 2017, le PiS en a révoqué tous les membres, pour en désigner de nouveaux, et a procédé à ces nominations en les déléguant à la Diète, au détriment des nominations par les pairs.
La réforme du KRS a été à l’origine, davantage encore que les autres, des controverses sur la dégradation de l’État de droit en Pologne. Instaurant, aux yeux de l’opposition, un « chaos juridique » en Pologne, elle a été jugée non conforme aux critère de l’État de droit par la commission de Venise, puis par la CJCE. Cette dernière a en effet estimé en 2019 que les « néo-juges » nommés le « néo-KRS » ne pouvaient pas siéger légalement. Au total, ce serait près de 2500 magistrats du siège qui seraient concernés par cet arrêt de la CJCE. La réforme du KRS était en outre associée à celle de la Cour Suprême (Sąd Najwyzszy, SN), la plus haute juridiction de Pologne. Le PiS entendait en effet mettre fin aux fonctions de certains de ses membres, en particulier de sa présidente, violant le principe d’inamovibilité des juges. Le PiS également créé au sein du SN une chambre disciplinaire, chargée de contrôler l’action des magistrats du siège et perçue comme le « bras armé » du PiS pour les mettre au pas. Ce sont ces deux réformes qui ont conduit l’UE à déclencher l’article 7 de TUE[10]. La réforme du SN avait déclenché une nouvelle vague de manifestations en faveur de la défense de la démocratie. Le PiS a répliqué en faisant déclarer par le Tribunal constitutionnel, en 2023, que les arrêts de la CJCE n’étaient pas conformes à la constitution polonaise. Enfin, un dernier volet de ces réformes a reposé dans l’élargissement des prérogatives du ministre de la Justice sur les magistrats du parquet, ce qui s’est traduit par une politisation du corps des procureurs. Dans leur totalité, ces réformes ont entrainé de nombreux litiges devant la justice polonaise, notamment après des sanctions disciplinaires infligées à des juges ou à des procureurs, dont la défense a par ailleurs constitué l’une des dimensions des manifestions pro-démocratie entre 2016 et 2023.
Si les mobilisations de magistrats ont été nombreuses entre 2015 et 2023, certaines d’entre elles sont plus spécialement remarquables pour notre propos. Elles permettent en effet de spécifier les nouvelles collusions entre partis pro-démocratie et secteur judiciaire. Elles résident en l’occurrence dans la résistance opposée aux réformes du PiS par les organisations de professionnels de la justice. Ces organisations ont, pour certaines d’entre elles, été créées à la suite de la reprise en main de la magistrature par le PiS, comme l’association des procureurs Lex Super Omnia (Stowarzyszenie Prokuratorów Lex Super Omia), qui regroupe une frange active et engagée des magistrats du parquet. L’Association des Juges polonais Iustitia (Stowarzyszenie Sędziów Polskich Iustitia), si elle est de création plus ancienne, s’est engagée à son tour publiquement contre les réformes du PiS. Cet engagement a pris la forme de publications, de rapports circonstanciés sur les réformes du PiS ou encore de veille sur les réseaux sociaux. On peut y voir le signe d’une tendance à l’autonomisation du secteur judiciaire face au politique (Roussel, 2002, 2009 ; Engelman, 2020).
Cette mobilisation a suscité des collusion inédites avec certains acteurs politiques ou avec des organisations citoyennes de défense de la démocratie. Les mobilisations de magistrats ont ainsi acquis un caractère hybride, en associant leurs interventions professionnelles et « techniques » sur l’état de la justice au répertoire de protestation de la « société civile », en créant en 2018 un Comité de Défense de la Justice (Komitet Obrony Sprawiedliwości, KOS), sur le modèle des multiples groupements militants pro-démocratie nés après 2015. Les partis d’opposition ont quant à eux été perçus comme le débouché des revendications du monde de la magistrature. Ainsi, peu avant les élections de 2023, plusieurs associations de magistrats, parfois en concertation avec des think tanks libéraux, conçoivent des projets de loi « clés en main », concordants avec les projets des partis d’opposition. Ces projets entendent entre autres démanteler le « néo-KRS », instaurer à un contrôle général des magistrats promus sous le PiS ou encore rétablir l’indépendance des magistrats du parquet (Jałoszewski 2023a).
Le visage de ces nouvelles collusions pourrait être celui d’Adam Bodnar, Défenseur des droits entre 2015 et 2021. Militant des droits de l’Homme et membre de plusieurs agences européennes de défense des droits individuels avant 2015, il dispose lors de son entrée en fonction d’un double capital juridique et symbolique lui permettant de prendre position et d’engager ses fonctions contre les agissements du PiS. À titre d’exemple, il este en justice contre les collectivités locales s’étant proclamées « zones LGBT free » en 2019. Un autre de ses engagements les plus spectaculaires aura été sa présence, en 2021, aux rencontres organisées par des militants pro-démocratie avec la population polonaise, lors d’un « Tour de constitution » (Tour de Konstytucja) étalé sur deux mois et prenant place dans de nombreuses localités. Au cours de ces rencontres, Adam Bodnar a notamment dédicacé des exemplaires de la constitution ensuite remis aux visiteurs (Sitnicka & Klauziński, 2021). Converti à la politique lors des législatives de 2023, il est ainsi choisi par Donald Tusk pour devenir ministre de la Justice.
L’action du gouvernement Tusk en matière de retour à l’État a cependant constitué une épreuve pour l’alliance qui s’était nouée entre partis d’opposition et secteur judiciaire, notamment parce qu’elle s’est trouvée liée et contrainte par d’autres enjeux aux agendas et aux temporalité très différentes. L’une des promesses les plus saillantes de Tusk durant la campagne avait en effet été de débloquer les fonds du plan de relance européen, suspendus en raison de l’activation par la Commission européenne de l’article 7 du TUE. Donald Tusk s’est ainsi rendu auprès d’Ursula von der Leyen avant même son investiture, pour matérialiser politiquement la rupture avec les politiques du PiS. Mais malgré la présentation dès février 2024 d’un « action plan » par Adam Bodnar, consistant en un ensemble de lois de réforme du secteur judiciaire, leur application s’inscrivait d’emblée dans une temporalité longue, peu compatible avec un déblocage rapide des fonds européens. Comme Sienkiewicz à la Culture (cf. supra section 1), Adam Bodnar a été contraint d’user de « stratagèmes »[11] pour débloquer la situation mais ses marges de manœuvre étaient moindres. En effet, la réforme de la justice passe impérativement par des lois, mais aussi par des mesures de reclassement de l’ensemble des magistrats promus par le « néo-KRS ». En présentant son « action plan », puis en amorçant le processus législatif dès mars 2024 (Iwanowa & Woźnicki, 2024), Adam Bodnar a certes permis au gouvernement Tusk d’obtenir de Bruxelles l’annulation de la procédure de l’article 7 avant les élections européennes de juin suivant (Kokot, 2024), mais ce traitement différencié des temporalités de réforme provoque une mise sous tension des relations avec la magistrature.
On peut en prendre pour exemple la réforme du « néo-KRS », dont la création avait été à l’origine de l’activation de l’article 7 par Bruxelles, Adam Bodnar s’est immédiatement heurté au refus catégorique du président Andrzej Duda de voir démantelée cette instance. Après avoir laissé placer la menace d’un véto, le président Duda a finalement renvoyé cette loi devant le Tribunal constitutionnel – réformé par le PiS – arguant que cette loi était anticonstitutionnelle puisque la Diète l’avait adoptée sans les députés Wąsik et Kamiński, dont le droit de siéger n’était pas reconnu par la nouvelle majorité (Woźnicki, 2024a). En octobre 2024, c’est la Commission de Venise qui a émis des réserves sur les réformes proposées par le gouvernement polonais (Woźnicki, 2024b)[12]. Or, le texte présenté par Bodnar était, à quelques nuances près, celui préparé par l’association Lex Super Omnia quelques semaines avant les élections. Les mêmes observations pourraient être faites à propos du Tribunal constitutionnel, dont les projets de réformes ont également été renvoyés par Duda devant le même Tribunal constitutionnel, alors que les magistrats souhaitaient dès avant les élections de 2023 que les juges constitutionnels contestés soient rapidement relevés de leurs fonctions, au besoin par une simple résolution de la Diète (Jałoszewski, 2023c). Enfin, une controverse assez vive a émergé lorsque Donald Tusk a apposé son contreseing, en août 2024, à la décision du président Andrzej Duda de nommer un « néo-juge » au SN. Face au tollé, Tusk a prétexté un manque de vigilance de son cabinet et « retiré » son contreseing (Sitnicka & Jałoszewski, 2024 ; Domagalski, 2024).
Si dans l’ensemble les collusions avec la magistrature ont « tenu », les stratégies de voice se sont ainsi multipliées (Hirschman, 1970). L’une des prises de parole que l’on peut distinguer est celle du juge Tuleja, l’un des magistrats les plus concernés par les réformes du PiS. Il avait ainsi été l’un des premiers magistrats à être l’objet des sanctions disciplinaires voulues par le PiS, puis avait introduit contre ces sanctions des recours devant la CJCE. L’ire du PiS avait été suscitée entre autre par son refus de classer sans suite la procédure engagée après une séance houleuse de la Diète, lors de la crise parlementaire de décembre 2016 (Zalewski, 2021). Membre de l’association Iustitia, la médiatisation de son cas lui avait valu d’être l’un des invités de marque du « Tour de constitution », mais aussi de recevoir de nombreux prix polonais ou internationaux récompensant la défense de l’État de droit[13]. Dès janvier 2024, Igor Tuleja faisait ainsi part de sa déception face aux lenteurs du rétablissement de l’État de droit et des atermoiements du gouvernement Tusk à faire adopter les lois proposées par Iustitia (Paś, 2024). C’est toutefois de la part du professeur de droit Wojciech Sadurski que sont venues les critiques les plus tranchées. Autour d’ouvrages de référence sur l’État de droit en Pologne auprès d’éditeurs académiques réputés (Sadurski, 2019), Wojciech Sadurski considère que la Pologne constitue désormais un « État constitutionnellement défaillant » ; il prône une transition en trois étapes pour restaurer la démocratie libérale[14], processus au cours duquel il lui semble légitime de procéder par des moyens comparables à ceux utilisés par les pouvoirs autoritaires sortants (Sadurski, 2024a). Il s’est par ailleurs montré très critique envers les conclusions de la Commission de Venise enjoignant le gouvernement polonais à respecter les droits des juges promu par le « néo-KRS » (Sadurski, 2024b).
La mise en évidence de ces tensions entre magistrats et politiques, après 2023, ne révèle qu’exceptionnellement des désaccords normatifs ouverts, comme dans le cas des prises de position publiques de Sadurski. On peut faire l’hypothèse qu’elles renvoient davantage aux intérêts intérêts différenciées à resectoriser les lignes de conduites, autrement dit à les inscrire dans des espaces désormais moins coordonnées par des impératifs stratégiques, au cours de mobilisations politiques, et davantage soumis à leurs enjeux propres. Ces flottements stratégiques, qui pourraient constituer la substance même de l’alternance en contexte néo-autoritaire, semblent trouver une issue inédite dans la lutte anti-corruption.
III. LES USAGES « ANCIENS-NOUVEAUX » DES AFFAIRES
Une issue apparente à la fluidité tendancielle de l’alternance a en effet résidé dans la focalisation des acteurs sur les « affaires », dans la lignée des scandales qui ont scandé la politique polonaise depuis la fin des années 1990. Tout se passe comme si les repères stratégiques et institutionnels fournis par les activités induites par la dénonciation des faits de corruption ou des illégalismes offraient davantage de prise aux acteurs pour stabiliser la situation, davantage du moins que les règles et normes démocratiques à proprement parler. Cette observation vaut pour les libéraux, en pointe sur la dénonciation des faits de corruption imputés au PiS, mais aussi pour le PiS lui-même, qui ne « joue pas le jeu » de l’État de droit et mobilise ses alliés dans le champ judiciaire. Cet « effet émergent » inattendu se trouve ainsi à la lisière des solutions institutionnelles aux crises politiques, sans relever de manière univoque de la réfraction des luttes politique vers des sites institutionnels (Dobry, 1986: 212).
Pour cerner les contours de cette hypothèse, un détour s’impose par le rôle structurant des« affaires » dans la vie politique depuis les années 2000. Aux yeux de certains auteurs, les activités de dénonciation des « affaires » de la part des acteurs politiques est un marqueur contre-intuitif de professionnalisation de la politique en Pologne. Selon Jérôme Heurtaux, l’omniprésence du thème de la lutte anti-corruption dans le discours politique a transformé les conditions mêmes de la concurrence démocratique au seuil des années 2000, avec la percée électorale du PiS. En 2006, à l’initiative du premier gouvernement dirigé par ce parti, a été créé le CBA (Centralne Biuro Antykorupcyjne, Office central de lutte contre la corruption), sur fond d’anticommunisme, la corruption étant imputée par la droite polonaise à la survivance de réseaux d’intérêts liés à l’ancien régime[15]. Or, la lutte anticorruption aurait entrainé les acteurs à surenchérir dans leurs prétentions à lutter contre le phénomène et de la sorte contribué à clore l’espace politique sur de nouveaux critères de légitimité : « la lutte anticorruption participe donc d’une redéfinition des contours de la légitimité politique. Plutôt que d’être l’instrument d’une relégitimation d’élites discréditées, elle s’impose surtout comme un outil de redéfinition des critères mêmes de la légitimité politique » (Heurtaux, 2009: 337).
Toutefois, la situation autoritaire d’après 2015 a transformé le sens même des mobilisations politiques autour des « affaires », sous l’effet des pratiques décisionnistes[16] du PiS et de la progressive installation de magistrats politisés. Au cours de la période 2015-2023, les partis d’opposition ont pu apparier durablement dans la dénonciation des « affaires » des faits de corruption supposés, les dérives anti-démocratiques du PiS et la nécessité de procéder au remplacement de certains magistrats. Il n’est guère loisible, dans le cadre de cet article, de procéder à une présentation détaillée de toutes les « affaires » de la période du fait de leur nombre et de leurs ramifications complexes, malgré leur dimension très saillante dans la compétition politique. À l’appui de notre propos, évoquons brièvement les accusations formulées par l’opposition d’avant 2023 envers le parquet, suspecté d’avoir classé certaines « affaires », comme celle des respirateurs artificiels, liée à la gestion hasardeuse de la crise sanitaire de 2020[17]. L’opposition pro-démocratie n’a cessé de dénoncer, autre exemple, la grâce présidentielle accordée à Kamiński et Wąsik, instaurant à ses yeux une forme d’impunité pour les dirigeants du PiS. La dernière « affaire » que l’on évoquera a été l’une des plus retentissantes, en l’occurence l’affaire du Fond de Justice (Fundusz Sprawiedliwosći), un fond de solidarité initialement créé en soutien aux victimes de violences. Sous les gouvernements du PiS, ce fond aurait été détourné de sa vocation pour financer nombre d’organisations idéologiquement proches de la droite, comme la radio catholique traditionaliste Radio Maryja ou l’association organisatrice des marches d’extrême droite du 11 novembre (Zalewski, 2020). Mais surtout, il aurait également permis au gouvernement de se procurer en toute discrétion le logiciel espion Pegasus, grâce auquel de nombreux dirigeants d’opposition auraient été mis sur écoute illégalement[18]. En somme, la dénonciation de la corruption était désormais destinée à mettre en évidence ce qui apparaissait à l’opposition comme une forme d’autoritarisme patrimonialisé du régime.
Le changement de gouvernement en 2023 a redéfini, à nouveau, les contours des mobilisations autour des « affaires », aussi bien de la part des soutiens du gouvernement Tusk que de la part du PiS, qui peut mobiliser à son profit les segments du secteur judiciaire qui lui restent loyaux. L’action du nouveau ministre de la Justice, Adam Bodnar, a résidé dans une tentative de replacer les « affaires » dans des arènes institutionnelles ordinaires, ce qui présentait le double avantage de construire un agenda politique autour de leur traitement politique et de les soumettre à des procédures prévisibles. Dès janvier 2024, de commissions d’enquêtes parlementaires sur les « affaires » ont ainsi été mises en place : sur les illégalismes commis dans la préparation de l’élection présidentielle par correspondance, en 2020, qui a entraîné un vaste gaspillage de fonds publics, sur l’affaire des visas et sur l’utilisation à des fins politiques du logiciel espion Pegasus.
Toutefois, parmi les soutiens de la majorité, certaines conduites restent teintées par les stratégies de scandalisation propres aux mobilisations constitutives des « affaires », en concordance avec les revendications de règlements de compte (rozliczenie) de la part de certains segments la société civile. Prenons-en pour exemple les députés KO Michał Szczerba et Dariusz Joński, engagés dès avant l’alternance dans de nombreuses activités de luttes anti-corruption[19] qu’ils ont maintenues par la suite. Michał Szczerba[20] a ainsi été à l’origine de révélations, en 2024, selon lesquelles les marches nationalistes annuelles du 11 novembre auraient bénéficié des financements du Fond de Justice. Dès janvier 2024, les députés libéraux de la KO ont créé, pour n’évoquer que cet autre exemple, une commission chargée d’inventorier toutes les « affaires » des années 2015-2023. Confiée à l’une des personnalités politiques victimes des écoutes Pegasus, Roman Giertych, elle n’a pas le statut de commission d’enquête et n’a aucun pouvoir, mais elle est devenue un espace d’expression des tenants d’une conduite maximaliste face aux « affaires » (Kwiatkowska, 2024). En février 2024, un large groupement d’ONG et de représentants de la « société civile » a signé une lettre ouverte à Adam Bodnar, enjoignant celui-ci à accélérer les procédures judiciaires contre le PiS, arguant des fortes attentes de justice de la société. Bodnar a donné en partie satisfecit à cette revendication, par la commande d’un audit sur le pilotage de la justice par le PiS, tout en excluant de grouper les différentes procédures en cours (Karnowska, 2024).
La distinction proposée ici entre la stratégie de Bodnar de traitement institutionnel des « affaires » et celles d’acteurs impliqués dans des stratégies de scandalisation est analytique ; rien ne permet de conclure à leur antagonisme aux yeux des protagonistes. Au contraire, il n’est pas déraisonnable de penser qu’elles apparaissent complémentaires et concordantes, dans la mesure où elles participent d’une même entreprise de définition du sens des agissements du PiS, aussi bien ceux, passés, lorsqu’il était au pouvoir que ceux, présents, par lesquels il s’oppose à la marche ordinaire des procédures judiciaires. La mise en scène des « affaires », pour peu que leurs sens soit redéfini pour apparaître comme le symptôme de dérives autoritaires, permet ainsi aux libéraux de tracer les contours d’une légitimité démocratique de respect de l’État de droit refusée au PiS.
Pour être défensives, les contre-mobilisation du PiS n’en ont pas moins été efficaces pour subvertir le travail politique et institutionnel de la nouvelle majorité pour qualifier et poursuivre les « affaires ». Convoqués devant les différentes commissions parlementaires, les dirigeants du PiS ont tantôt refusé d’y témoigner, tantôt appliqué la stratégie « des trois petits singes » pour se dérober à leurs responsabilités. Ainsi, en mars 2024, Kaczyński a déclaré à la commission d’enquête sur le logiciel espion Pegasus ne pas connaitre les détails de l’affaire, non sans avoir tenté d’intimider la présidente et récusé certains parlementaires siégeant dans la commission (Kokot, 2024b). En juin suivant, Kaczyński n’a simplement pas répondu à la convocation de la commission d’enquête sur l’affaire des visas (Gardulska, 2024). Pour notre propos, le point le plus remarquable reste l’activation par le PiS de ses soutiens dans la magistrature, ainsi qu’à la présidence de la République. Par ses pouvoirs, le président Andrzej Duda a pu soutenir le PiS pour construire un contre-agenda de réformes de la justice. Prenons simplement l’exemple du projet de loi de réforme du Tribunal constitutionnel préparé par la nouvelle majorité, que Duda a refusé de signer et a contesté devant le même Tribunal constitutionnel (Woźnicki, 2024b). La dimension inédite de cette stratégie apparaît plus clairement dans la guérilla juridique menée par les parlementaires PiS ou par certains magistrats. Le Tribunal constitutionnel a été saisi à de nombreuses reprises par les députés du PiS et s’est ainsi prononcé sur l’illégalité, à ses yeux, des commissions d’enquête parlementaires sur les « affaires ». Saisi par le président Duda, le Tribunal constitutionnel a également considéré que le travail parlementaire dans son ensemble était entaché d’illégalité du fait du retrait « anticonstitutionnel » de leurs mandats à Kamiński et Wąsik (Woźnicki, 2024c). Ainsi, si la stratégie d’obstruction du PiS ne concerne que de manière oblique les « affaires », elle établit cependant autant de contre-feux que nécessaire pour transformer le sens de la lutte anti-corruption en cabale contre lui-même.
Il convient selon nous de voir dans la disponibilité de tels soutiens au PiS dans le secteur judiciaire, même après l’alternance, l’une des propriétés de la situation d’après les élections de 2023, qui est au principe de sa conduite de « mauvais perdant ». Cette alternance se singularise en effet par la relative résilience des collusions avec la justice que le PiS a organisé lorsqu’il était au pouvoir, même si leur rendement va probablement décroitre au fil des rotations aux différentes fonctions concernées.
CONCLUSION
Si la conduite de « mauvais perdant » du PiS était le point de départ de ce texte, ce dernier visait cependant à proposer une analyse élargie des jeux politiques consécutifs à la défaite dans les urnes d’un pouvoir « néo-autoritaire », dont l’agenda conservateur visait entre autres à transformer l’État et à lui conférer des contours anti-libéraux. Plusieurs pistes hasardeuses ou commodes nous semblaient ainsi devoir être écartées, du moins discutées. En premier lieu, celles qui auraient éclairé les contestations du PiS par son identité réputée « populiste » ou « agonistique » : une telle piste aurait non seulement relevé de la tautologie, mais elle aurait également accordé un rôle causal exclusif aux variables idéologiques. S’il parait peu discutable que les occurrences de contestation survenues après décembre 2023 dénotent les préférences idéologiques des acteurs, leur dimension stratégique apparaît cependant manifeste dès lors qu’on s’intéresse aux arènes de concurrence politique dont les péripéties ont pimenté l’alternance polonaise. La notion de contentious politics permettait de mettre en évidence cette dimension. Il paraissait utile, en second lieu, de réintroduire dans l’analyse l’incertitude stratégique avec laquelle l’ensemble des acteurs ont dû composer, même si celle-ci doit davantage être entendue au sens de l’analyse des conjonctures fluides ou critiques, que de celui des préférences stratégiques des études de transition. La perspective de ce texte est plutôt de considérer que les dérives autoritaires constituent « une autre disposition » des rapports intersectoriels (Collombon & Mathieu, 2021). Il semble bien que leur mise en tension et leur relatif flottement soient constitutifs de leur état dans les démocraties en prise aux stratégies anti-libérales de certains acteurs, même après un échec aux élections. De fait, les mobilisations contestataires du PiS ont visé à entraver le démantèlement des dispositifs qui réduisaient l’autonomie de secteurs sociaux comme la justice ou les médias, pour s’en tenir à ceux que le gouvernement Tusk s’est attaché à immédiatement rétablir dans leur autonomie. Ces remarques conclusives seraient incomplètes si on ne soulignait pas que les pistes avancées dans ce texte débouchent sur un questionnement plus large, relatif au répertoire de la contestation en Pologne : si le PiS s’approprie des modalités de protestation déjà éprouvées en 2016 par les libéraux, lors de la grève d’occupation de la Diète, il pourrait être pertinent d’examiner les liens de ce répertoire à des agir politiques fortement institutionnalisés en Pologne depuis les années 1980 et fondés sur une opposition entre la société et l’État (Zalewski, 2003).
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[1] Je ne propose pas, dans cet article, de tableau général des dérives anti-démocratiques du PiS entre 2016 et 2023, pour lesquelles plusieurs synthèses sont disponibles (Dakowska, 2017 ; Tartakowsky & Zawadzki, 2017 ; Behr & Pellen, 2019 ; Mink, 2021).
[2] À l’exception du groupe des 50-59 ans, plus favorable au PiS et dont la participation, à 60%, a reculé de 23 points par rapport à 2019.
[3] Sur cette distinction qui discerne des règles objectivées dans le droit ou des procédures formelles et des règles tacites, auxquelles les acteurs se conforment par « sens du jeu », cf Bailey, 1971. Cette distinction, loin de restreindre les formes légitimes d’activité politique aux règles formelles, constitue un point d’appui pour penser les transformations normatives de l’activité politique.
[4] Sur la notion d’arène comme espace formé par des échanges de coups dans la concurrence politique, voir : Bailey, 1971 ; Dobry, 1986 ; sur les usages de cette notion dans les approches des processus de démocratisation, cf Linz & Stepan, 1996 ; Kopecky, 2003.
[5] En 2021, 72% des Polonais estimaient que la corruption des dirigeants politiques était un problème, soit 10 points de plus que la moyenne européenne (Transparency International, 2021).
[6] Cette condamnation est survenue dans le cadre d’un scandale dit « affaire foncière » (afera gruntowa) remontant à la fin des années 2000. Ayant la haute main sur les services anti-corruption, Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik auraient mis à profit des faits de corruption avérés pour organiser une provocation policière à l’encontre de l’un des principaux opposants au PiS de l’époque, le député et chef de parti Andrzej Lepper. (celui-ci avait été approché par deux agents anti-corruption se faisant passer pour des acquéreurs de terrains agricoles, contre pot-de-vin), dont le suicide en 2009 passe pour avoir été en lien étroit avec ces incriminations fictives.
[7] Ils ont depuis été élus députés européens sur les listes du PiS.
[8] Je fais ici délibérément référence à la métaphore de la blitzkrieg proposée par Laurent Pech et Petra Bard pour rendre intelligibles les transformations entreprises par les pouvoirs antilibéraux : « organiser une blitzkrieg législative, au nom d’une prétendue refonte de l’ordre constitutionnel, pour camoufler les intentions de patrimonialisation (ou de démantèlement) des mécanismes d’équilibre des pouvoirs et disposer ensuite d’organes formellement indépendants pour asseoir la domination du parti au pouvoir » (Bard & Pech, 2019).
[9] La Commission européenne pour la démocratie par le droit, dont le nom usuel est Commission de Venise, est une instance relevant du Conseil de l’Europe qui vise à apporter une aide technique dans le respect des normes de l’État de droit.
[10] Cet article ouvre la voie à des sanctions contre un État-membre violant les principes de l’État de droit.
[11] En janvier 2024, Adam Bodnar a mis fin aux fonctions du procureur général nommé par son prédécesseur, en mettant en avant des irrégularités de procédure, en l’occurence l’impossibilité de confier ces fonctions à un juge en disponibilité, ce qui était le cas de Dariusz Barski, nommé en 2022.
[12] la commission de Venise souligne que le reclassement des juges nommés par le « néo-KRS » ne peut s’effectuer par cohortes, comme le prévoit la nouvelle loi, mais doit être individualisé afin de permettre les recours.
[13] Il a ainsi reçu en 2024 le prix du Global Jurist of the Year décerné par une institution universitaire de Chicago, le Northwestern’s Center for International Human Rights (Szczygielska-Jakubowska, 2024).
[14] Cette représentation séquentielle du retour à la démocratie libérale n’est pas sans évoquer les étapes discernées par la transitologie, jusqu’à l’évocation d’élections dites « fondatrices » comme point de départ du processus de démocratisation (O’Donnell & Schmitter, 1986).
[15] C’est ainsi à la tête du CBA que Kamiński et Wąsik auraient agi contre les adversaires du PiS à cette époque (cf. supra).
[16] La notion de décisionnisme, lorsqu’elle se rapporte au domaine du droit, implique de « faire de la décision et de l’autorité la source et non la conséquence du droit » et renvoie aux thèses du juriste allemand Carl Schmitt (Urfalino, 2019). La référence constante du PiS au « souverain » comme source ultime du droit, souvent par opposition à la notion même d’État de droit, illustre l’imprégnation de ses pratiques du pouvoir par une vulgate schmittienne, mais il convient de noter que ce rapport au droit était aussi celui, selon certains auteurs, des pouvoir communistes avant 1989 (Strmiska, 1984).
[17] L’État a procédé à l’achat de respirateurs de réanimation pendant la crise pandémique, pour une somme de plus de 200 millions de zlotys (env. 50 millions €), lesquels se sont révélés défectueux. Le vendeur, un entrepreneur privé, est décédé peu après dans des conditions suspectes.
[18] La liste des personnalités écoutées parmi les parlementaires et responsables politiques ne se cesse de s’allonger, dépassant la centaine de personnes. Devant la commission d’enquête parlementaire, Kaczyński est resté évasif, soulignant qu’il ne savait rien, selon lui, des usages précis de Pegasus dont il s’était publiquement félicité que les services de l’État puissent en disposer.
[19] Ce sont notamment les députés Michał Szczerba, et Dariusz Joński qui sont à l’origine d’une partie des révélations sur l’utilisation du fond de solidarité Fundusz Sprawiedliwosci à des fins partisanes, mais également d’opération de financement illégal des campagnes électorales par le PiS.
[20] Né en 1977 et engagé en politique depuis les années 1990, Michał Szczerba est député depuis 2007 sans discontinuer et s’est construit dans les années 2015-2023 un crédit politique d’opposant pugnace contre le PiS, engagé dans la dénonciation des « affaires » mais aussi protagoniste en vue de la crise parlementaire de 2016 (Zalewski, 2021).
Author :
Frédéric ZALEWSKI est Maître de conférences en science politique à l’Université Paris Ouest – Nanterre La Défense et chercheur à l’ISP (Institut des Sciences sociales du Politique, CNRS, UMR 8166)