Le contrôle territorial par (dés)engagement des corps
ou comment le pouvoir mobile rend possible l’existence du monde innu

Mack Pépin


Resumé

Depuis la mise en œuvre des réserves et l’établissement des pensionnats indiens au Québec, les Innus, peuple autochtone de la péninsule Québec-Labrador, se retrouvent assujettis à l’ordre juridico-politique imposé par l’État fédéral. De tradition nomade, parce que leur pas suivait les mouvements des autres qu’humains – animaux, végétaux, entités maîtres des animaux, ancêtres et enfants à venir –, les Innus furent contraints à une sédentarisation forcée, porte d’entrée d’une assimilation culturelle. Nous souhaitons, par une mise en perspective historique et une double analyse anthropologique et géographique, proposer une lecture du processus de contrôle territorial par le pouvoir colonial. Là où le principe de sédentarité repose sur un mode de vie où les humains façonnent un espace strictement humain, elle institue en creux le dualisme entre nature et culture, non-humains et humains, qu’elle transpose en symétrie spatiale nomade-sédentaire. En suivant le fil de la corporalité, nous suggérons enfin que les Innus furent soumis à une domination ontologique sur leur corps, désormais colonisé. Mais ce corps, pris dans l’assignation, peut devenir le lieu d’une mobilité persistante, vectrice d’un contre-pouvoir face aux dynamiques territoriales imposées.

Abstract

Since the implementation of reserves and the establishment of Indian residential schools in Quebec, the Innu, an Indigenous people from the Quebec-Labrador Peninsula, have found themselves subject to the legal and political order imposed by the federal government. Traditionally nomadic, because their movements followed those of other-than-humans – animals, plants, master-entities, ancestors, and future children –, the Innu were forced into sedentarization, which was the gateway to cultural assimilation. Through historical perspective and a dual anthropological and geographical analysis, we would like to offer an interpretation of the process of territorial control by the colonial power. Where the principle of sedentarism is based on a way of life in which humans shape a strictly human space, it implicitly establishes a dualism between nature and culture, non-humans and humans, which it transposes into a related nomadic-sedentary spatial symmetry. Following the thread of corporeality, we finally suggest that the Innu were subjected to ontological domination over their bodies, which were now colonized. But this body, caught up in its assignment, can become the site of persistent mobility, a vector of counter-power in the face of colonial dynamics.

Citer cet article

Marck Pépin. 2025. « Le contrôle territorial par (dés)engagement des corps ou comment le pouvoir mobile rend possible l’existence du monde innu ». Nomopolis 3

INTRODUCTION

« …in dwelling in the world, we do not act upon it, or do things to it; rather we move along with it. Our actions do not transform the world, they are part and parcel of the world’s transforming itself » (Ingold 1993:164).

Traditionnellement semi-nomades, les Innus, Première Nation établie à l’est du Québec-Labrador au Canada, entretiennent, depuis des temps immémoriaux, un réseau de relations avec les non-humains : animaux, végétaux, entités maîtres des animaux, ancêtres et enfants à venir. Le Nitassinan, territoire revendiqué par les Innus, se compose de paysages variés à travers lesquels, de la taïga à la toundra, les Innus ont tracé de nombreux sentiers et sillonné les eaux en canot.

Emplacement contemporain des communautés innues (« réserves ») situées au Québec et au Labrador, ainsi que l’étendue approximative du Nitassinan, territoire ancestral revendiqué par les Innus depuis les années 1970.[1]

Source : Département de géographie, Université Laval, 2022

C’est au sein d’un vaste territoire que se sont développées douze communautés, dont deux d’entre elles sont situées au Labrador. Placées sous le régime fédéral depuis la Loi sur les Indiens, promulguée en 1876, ces « réserves » ainsi désignées ont peu à peu éloigné les Innus de leurs terres ancestrales, désormais exploitées à des fins économiques et soumises à des bouleversements écologiques.

Ces dynamiques trouvent leurs origines dans les premiers temps de la colonisation, amorcée dès le XVIᵉ siècle à l’arrivée des premiers Européens sur le territoire. Les doctrines naturalistes occidentales, séparant nature et culture (Descola 2005), ont accompagné le processus d’assimilation imposé aux Innus, lequel connut une inflexion plus brutale avec l’adoption, plus récente, de ladite Loi. Le « sauvage », selon ces doctrines, devait se « civiliser ». La politique de sédentarisation, mise en œuvre par la création des réserves indiennes, constitua l’un des leviers privilégiés pour aboutir à cette fin. Cette politique traduisait dans l’espace une distinction entre, d’une part, le sédentaire « civilisé », porteur d’une ontologie naturaliste et, d’autre part, le nomade « sauvage », cultivant une ontologie relationnelle. Le premier érige un espace de vie qui serait uniquement humain tout en utilisant les ressources, qu’il qualifie de naturelles, à son profit. Le second construit un mode de vie mobile concomitant à celui des autres qu’humains, où les espaces de vie sont multisitués et évolutifs. L’imposition coloniale de la sédentarité révèle ainsi une double évidence : 1/ le nomade et les non-humains, assimilés à la « nature », devaient être contrôlés et exploités ; 2/ l’assimilation culturelle passait impérativement par la sédentarisation, une entreprise implacable de désocialisation entre humain et non-humains. De ce fait, le dualisme mobile nomade-sédentaire se manifeste comme l’instrument spatial du dualisme nature-culture, tel qu’orchestré par les politiques coloniales. Toutefois, bien que les politiques d’assimilation aient eu un impact non négligeable sur l’innu-aitun – la culture innue –, les Innus ne semblent pas s’être détachés de leur manière d’être ni de leurs pratiques territoriales.

Si cet article s’appuie sur les principes ontologiques en anthropologie, par l’entremise de l’anthropologie symétrique (Latour 1991 ; Descola 2005), de l’anthropologie écologique (Ingold 2000), ou bien le perspectivisme, qui porte une attention particulière à la corporalité (Viveiros de Castro 2009), il vise, en faveur de la multidisciplinarité, et en portant un regard sur l’histoire coloniale et la spatialité des Innus, à intégrer à ces champs l’idée de mobilité, autour de laquelle les notions d’espace et de territoire nous obligent à considérer un intérêt manifeste pour la géographie sociale. Pour en revenir au corps, et ici, aux corps colonisés, souvent analysés sous un angle physique qui sous-tend à la fois des représentations coloniales (Boëtsch et Chevé 2002) et des processus de biopouvoir (Dulucq, Herbelin et Zytnicki 2016), nous proposons de compléter ces travaux en y intégrant une dimension ontologique et épistémologique. Nous soutenons que, chez les peuples cultivant une ontologie relationnelle, le corps colonisé voit sa corporalité, dans sa fonction même, ébranlée par la domination spatiale. Là où s’impose une conception du corps comprise en tant que substance, la corporalité processuelle de ces peuples, où enveloppe corporelle, esprit et monde extérieur participent d’un même continuum, peut à la fois générer la souffrance de l’être et ouvrir des voies de résilience.

Dans le but d’attester ces considérations, l’analyse s’ouvre sur l’interrogation suivante : comment les processus spatiaux organisés par le système jurico-politique ont-ils visé à conduire les Innus vers la sédentarisation, et par quelle forme de pouvoir ces derniers s’y opposent-ils ?

Cet article propose une analyse en deux temps. La première, à portée historique, sera nourrie d’une revue de littérature. Elle cherchera tout d’abord à décrire le mode de vie et le rapport au territoire des Innus, puis, après avoir étayé « l’engagement des corps » sur le territoire, l’analyse abordera l’oppression exercée sur ces corps par les politiques colonialistes et leur désengagement progressif sous l’effet de la dépossession territoriale. En second temps, ce récit historique nous conduira à l’élaboration du concept de pouvoir mobile. S’appuyant sur un terrain préliminaire[2] de dix mois à Uashat mak Mani-utenam et à Matimekush-Lac John, ainsi que sur la littérature existante, seront dévoilés les potentialités de réengagement des corps par l’exercice de la mobilité. Bien que les moyens de locomotion aient évolué, les Innus adaptent leur mobilité. Le terme de pouvoir, appliqué ici à la mobilité, enrobera les diverses luttes qui excèdent les principes spatiaux des politiques territoriales en vigueur. À rebours des systèmes dominants de contrôle distancié de la nature, il sera question de mettre en lumière l’expression du mode d’existence spatial innu par une mobilité où usages, pratiques et savoirs se génèrent dans l’interaction avec les non-humains et notamment à partir de leur corporalité. En se référant aux faits réels constitutifs du pouvoir mobile des Innus, nous prendrons ainsi nos distances avec la notion même de nomadisme.

I. OCCUPATION TERRITORIALE DU NITASSINAN

A. La mobilité innue : l’engagement des corps

La traque, la mise à mort, les rituels associés à la chasse – pratiques de divination et de communication avec les animaux et les entités maîtres –, ainsi que l’ensemble des manipulations opérées sur l’animal après son prélèvement constituent autant d’activités cynégétiques par lesquelles l’accumulation conjointe d’une expertise territoriale et d’un pouvoir spirituel, appelé manitushiun en innu-aimun – la langue innue –, devient possible. À travers les activités de chasse, les liens qui se tissent entre les êtres humains et non-humains permettent aux Innus d’agir sur leur monde – au-delà d’un territoire circonscrit – en synergie avec des savoirs en perpétuelle évolution. S’élabore ainsi un modèle juridique, social et cosmologique structuré par un ensemble de règles, de normes et de valeurs entre les humains, les groupes humains, et les non-humains, où sont situés animaux et entités maîtres, au premier rang desquels figure Papakassiku, maître du caribou (Atiku). Une vie partagée avec la terre demeure la vectrice unique de connaissance de l’innu-aitun en tant qu’elle se lie à des pratiques et des activités sociales telles que la chasse, les rites, les cérémonies, les festins, les récits et le partage.

L’anthropologue Harvey Feit (2004) suggère que les territoires de chasse des sociétés algonquiennes étaient déjà présents avant la traite des fourrures et l’arrivée des premiers Européens en 1603. Ils étaient déjà détenus par des familles (Speck 1915) et transmis de génération en génération. Bien que Speck (1935) suggère que certains d’entre eux étaient délimités par des repères géographiques, la stratégie de chasse innue était plus axée sur l’accès aux ressources que sur un sentiment d’appartenance à un espace particulier.

Le régime spatial de la chasse innue diverge selon les auteurs. Alors que certains (Leacock 1954 ; Mailhot 1985) parlent de chasse collective, d’autres (Speck 1931) prétendent que chaque famille possédait un petit territoire de chasse. L’avis de Jean-Paul Lacasse (2004) sera retenu ici, qui en déduit qu’un régime sera plus représenté dans une région que dans une autre, et que ces deux systèmes ne sont pas contradictoires (Lacasse 2004:42). Selon la localité et la temporalité, l’auteur souligne qu’un régime peut être déployé en fonction du type de chasse. La terre n’appartenant pas aux humains mais les humains appartenant à la terre, le territoire innu est plus conçu selon des termes de gardiennage qu’en termes de propriété délimitée par des frontières (Lacasse 2004:27). En cas de litige sur un territoire, l’objectif est de rétablir l’harmonie entre les membres du groupe, celui-ci étant plus important que la seule relation unilatérale entre l’animal et l’être humain (Speck 1935) ; ce qui va à l’encontre du caractère conflictuel de la justice euro-canadienne. Pour restaurer cette harmonie, la tradition innue cherche à placer les non-humains au même niveau que les humains en adoptant une vision plus cosmocentrique et holistique qu’anthropocentrique (Lacasse 2004:37-9).

En réalité, la notion innue de territoire diffère de celle imposée par les colons, en raison notamment d’une occupation qui se déploie selon ce que José Mailhot appelle une mobilité structurée (1986). Selon l’ethnolinguiste, la mobilité fait partie intégrante des modes d’occupation des territoires. Traditionnellement, une personne choisissait son terrain de chasse en fonction de ses relations sociales, et ce, sans condition d’accès au terrain (Charest 1996:110). En constante évolution, ces relations fluctuaient en concomitance avec les liens de parenté, aussi étendus que dynamique, en raison d’une parenté élective, c’est-à-dire de base sociale plutôt que biologique. Cette particularité permettait également de mieux gérer les ressources, celles-ci influençant le réseau de parenté (Leacock 1955), dont l’extension était utile puisque la chasse et le type d’animal convoité requièrent des groupes de chasse particuliers (Bishop 1986 ; Feit 2004:8-9).

L’état de la faune évoluant toute l’année, la saisonnalité rythmait le régime spatial, et, la chasse, le temps social (Charest 2020:95 ; Clément 2012:443-46, 473-74). L’année était cadencée par sept grands moments (Dominique 1989) – six pour Paul Charest (2020). Chaque période correspond à des gibiers et à un type de chasse qui influence le mode de vie économique et socio-cosmologique (Barriault 1971:23-4). La chasse communautaire de caribou, par exemple, est vectrice de valeurs par processus de partage continu entre l’entité maître vers le consommateur, où le chasseur dispose d’un rôle central dans la chaîne d’événements de partage entre les membres de la communauté (Castro 2015). En automne, les Innus habitaient dans leurs campements principaux. Des campements secondaires, situés à une distance de 12 à 85 km, étaient prévus pour accueillir les chasseurs. Selon la densité et la dispersion des espèces, des campements satellites servaient d’habitats stratégiques pour les grandes excursions. Pour les mois d’automne, même en période coloniale, les campements familiaux étaient composés de deux ou trois familles élargies avec une vingtaine de personnes maximum. Pour les bandes d’hiver, il y avait deux ou trois campements familiaux pour un total de 35 à 75 personnes. Les bandes d’été se regroupaient à l’embouchure des rivières par groupes d’environ 150 à 300 personnes. Parfois, de grandes rencontres réunissaient 1500 personnes, parmi lesquelles des Innus généralement éloignés étaient présents (Delâge 2020:28 ; Leacock 1955:34).

Les Innus ont su mobiliser un territoire dense pour organiser un vaste réseau d’échange pendant la traite des fourrures (Bishop 1986 ; Delâge 2019). L’arrivée des Européens a donc modifié l’occupation des territoires, le piégeage étant préconisé au détriment de la chasse aux grands mammifères. Cette période – début du XVIe siècle à la fin du XIXe siècle – rend compte de l’adaptation des Innus concernant l’occupation du territoire, mais en aucun cas n’a-t-elle constitué une rupture avec l’organisation territoriale. Le commerce des fourrures préservait leur liberté, leur culture et profitait à la continuité du nomadisme saisonnier (Bouchard et Lévesque 2018:209).

Ce que l’anthropologue Serge Bouchard nomme la « boréalie innue » (Bouchard et Lévesque 2018:32) s’étend aussi loin que l’écologie innue le permet, c’est-à-dire jusqu’aux limites où il est possible de pratiquer l’innu-aitun, cet ensemble de savoirs et de pratiques culturelles fondées sur la relation avec le territoire. Cette configuration spatiale ne se laisse donc pas circonscrire par des délimitations fixes. Lorsqu’ils se déplacent en territoire, les Innus ne se rendent pas simplement dans un espace géographique, mais, comme le rappelle la poétesse innue Joséphine Bacon, ils s’engagent dans le Nutshimit : « à l’intérieur des terres, dans les territoires de chasse » (Bacon 2009:139).  Le Nutshimit est mémoriel et expérientiel. Il prend sens à travers le corps, lieu à partir duquel se nouent les liens profonds entre la langue, l’identité, la cosmologie et les savoirs, en constante interaction avec les êtres – animés et non animés – qui y habitent[3]. Dès lors, le Nutshimit ne saurait être réduit à une simple désignation géographique, comme celle que l’on attribue couramment au Nitassinan, signifiant « notre territoire ». Chargé de sens, le Nutshimit est un espace de pratique, où la praxis innue peut se déployer dans et à partir du territoire. À ce titre, il est un concept conforme à leur ontologie territoriale et relationnelle.

B. La période coloniale : l’oppression des corps

Certains auteurs distinguent cinq grandes étapes dans le long processus de sédentarisation des Innus : la rencontre avec les premiers Européens (le contact) ; la formalisation du contact à travers la traite des fourrures et l’arrivée des missionnaires ; la dépendance ; la dépossession progressive des territoires ancestraux ; et, la sédentarisation forcée des bandes au sein des réserves. Si chacune de ces phases mérite d’être examinée à l’égard de leur impact continu, l’attention se portera ici sur les deux dernières en raison de l’entrave notable qu’elles ont imposée à la mobilité des Innus, et des traumatismes durables qu’elles ont inscrits dans leur mémoire collective comme dans leur mode de vie[4].

La création des réserves, survenue dans la seconde moitié du XIXe siècle (Bédard 1988), marque l’amorce d’une ère de délimitation spatiale stricte imposée aux peuples autochtones. Cette phase de marginalisation et de soumission croissante à l’ordre colonial s’accentue avec la promulgation de la Loi sur les Indiens en 1876, qui confère à l’État un pouvoir étendu sur le statut d’« Indien », la gestion des terres et des ressources, l’éducation, ainsi que l’administration des bandes. Ce cadre législatif institue un système de tutelle qui fragilise durablement l’autonomie des Premières Nations et structure leur assujettissement au sein du territoire national.

À partir de 1950, le gouvernement intensifie ses stratégies de sédentarisation, en édictant des normes juridiques, politiques et économiques. La création des réserves ne saurait être réduite à un simple déplacement vers des espaces circonscrits. Soutenu par des mécanismes politiques, par lesquels le gouvernement s’arroge la grâce de fournir aux Innus les équipements qu’ils méritent, ce dispositif spatial conduit à un déracinement territorial profond, mené par un ensemencement juridique diffus et latent.

La distribution de rations alimentaires contribua à restreindre la mobilité des Innus (Duschene 2019:179-80) et le mode d’occupation de l’espace domestique du modèle occidental leur est imposé. Le cadre légal des réserves autochtones, en limitant les droits d’accès et d’exploitation économique de la part d’entreprises non autochtones, confère une forme de protection territoriale. Bien qu’inscrites dans une logique juridique de souveraineté partielle, elles n’en demeurent pas moins soumises à l’autorité de l’État canadien. Peu à peu, la vie dans la réserve devient nécessaire et indispensable. Des établissements commerciaux se multiplièrent, des édifices religieux s’élevèrent pendant que les missionnaires s’y installaient, des structures de soin s’articulèrent autour de dispensaires que gagnaient infirmiers et infirmières, des logements au confort inédit surgissent du sol, et des services postaux et de sécurité prennent forme. Mais c’est sans nul doute dans le système scolaire imposé que l’entreprise d’acculturation puise ses racines les plus profondes (Lacasse 2004:121 ; McGee 1961:147). La scolarisation forcée des enfants dans les pensionnats indiens constitue l’un des visages les plus brutaux de l’assimilation. Les colons arrachent l’enfance innue pour extirper la langue, la culture et les liens au territoire, comme cela fut fait à l’ensemble des peuples autochtones des Amériques (Kapesh [1976] 2019). Menacés de se les voir retirer en cas de déscolarisation de leurs enfants, les prestations sociales, pourvues par le gouvernement, devenues un levier de contrôle, les rendaient dépendant de leur réserve (Barriault 1971:17 ; Lacasse 2004:193). Lors d’un séjour à Matimekush-Lac John, Jil Silberstein (1998) témoigne de l’inertie des membres de la communauté, figés dans l’attente du chèque mensuel, et déplore l’oisiveté contrainte et l’humiliation imposée par l’appareil gouvernemental. Tout se met en place, méthodiquement, pour rendre irréversible l’arrachement du mode de vie traditionnel.

Le processus de sédentarisation apparut de bon augure pour les missionnaires, qui y virent une double issue pour les Autochtones : passer du paganisme au christianisme et de chasseur à agriculteur (Tanner 1998:239). Conçue comme un idéal civilisateur, l’agriculture se présentait comme une voie opportune pour modeler les « Montagnais sauvage »[5] en « sédentaires civilisés » (Mailhot 1996:332-35 ; Bédard 1988:67).

Nonobstant un processus temporellement hétérogène, José Mailhot affirme que la sédentarisation des Innus différent peu en fonction des réserves, même dans les communautés les plus excentrées, comme celle de Sheshatshit (Mailhot 1993:157). Si dans cette localité la culture traditionnelle demeure la mieux conservée (Mailhot 1993:73), les Innus de Sheshatshit n’en demeurent pas moins confrontés à l’abandon de la vie nomade et à l’imposition du même système étouffant. À Sheshatshit – notamment à partir de 1950 –, comme dans les autres communautés, celui-ci engendre un enchaînement de conséquences lourdes : conditions matérielles difficiles, pauvreté, piètre alimentation, abus d’alcool, violence, délinquance, démêlée avec la Justice, ainsi que l’érosion de la langue, des valeurs et du tissu culturel dans son ensemble (Kapesh [1976] 2019 ; Mailhot 1993). La réserve se mue en une enclave de marginalisation institutionnalisée, semblable à un « camp de réfugiés » (Bédard 1988:128)[6], où la proximité des habitants favorise la propagation des maladies, mais où les services de soins y sont centralisés. Pour les Innus, la santé est intimement liée au mode de vie et à l’équilibre interne ; ainsi, les nouvelles maladies sont souvent associées au mode de vie sédentaire (Gentelet, Bissonnette et Rocher 2007:91). Une dichotomie sanitaire qui illustre à merveille l’attractivité trompeuse de ces lieux ambivalents, à la fois délétères et salvateurs.

Les Innus ne furent que rarement intégrés comme travailleurs permanents dans les industries en développement (Charest 1982:421-22). Ils furent plutôt mobilisés comme guides, canotiers, bûcherons ou manœuvres durant les premières phases de construction de barrages, occupant ainsi des emplois non qualifiés, souvent précaires. Néanmoins, l’occupation saisonnière du territoire se retrouve ébranlée par l’emprise d’un travail salarié qui prend de plus en plus de place. À l’instar de la chasse au caribou qui exige des déplacements sur de longues distances, il leur devient impossible d’effectuer de longs déplacements loin de leur communauté pour poursuivre les activités de subsistance. À Schefferville, par exemple, l’industrie minière s’empare d’une partie des terres (Boutet 2010). La réserve de Matimekush-Lac John est créée, où des Innus de la péninsule Québec-Labrador sont déplacés de force (Cassell 2021:20) pour satisfaire la main-d’œuvre. Un processus d’assimilation et d’acculturation s’articule alors autour d’un travail minier (Cassell 2021) qui sous-tend des horaires de travail fixes, incompatibles au mode de vie nomade. Pourtant, le salariat demeure paradoxalement indispensable pour couvrir les frais d’une chasse devenue dispendieuse en raison de l’appauvrissement faunique. Cette recomposition économique restreint leurs libertés, leur autonomie, accroît leur dépendance vis-à-vis de la mine et de l’État (Duchesne 2020:191), et relègue la subsistance cynégétique à une chasse au petit gibier, devenue plus accessible (Boutet 2010:44). Les Innus se voient contraints d’embrasser les normes économiques du gouvernement qui règne désormais sur leur territoire. Ces normes complètent les différentes formes de restrictions spatiales et participent au désapprentissage des mobilités traditionnelles innues. En définitive, si le cadre spatial imposé par le système juridico-politique se caractérise par le déplacement des Innus vers des espaces où tout est mis en œuvre pour les y maintenir, c’est bien autour d’un contrôle des corps que s’organise leur sédentarisation. Ce corps qui, loin de Nutshimit, ne saurait servir de lieu à partir duquel les liens avec le territoire se nouent.

C. L’aliénation du territoire : le désengagement des corps

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, alors que se restreignent des privilèges de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH)[7], l’État intervient davantage sur la Côte-Nord et ordonne des mesures législatives destinées à optimiser l’exploitation des ressources naturelles (Mailhot 1996:330). Cette période coïncide avec une dégradation alarmante des territoires de chasse privilégiés pour l’accès au gibier soumis aux problèmes de déforestation et des perturbations écologiques, auxquels s’ajoutent les feux de forêt (Bédard 1988:59-60). Dès 1846, l’État encourage les Autochtones à renoncer à la chasse, sous prétexte de protéger la faune. Dans le même élan, l’accès aux rivières commence à être limité, ce qui amorce le processus de dépossession territoriale au nom d’une gestion dite rationnelle, mais profondément coloniale.

En libérant le territoire, la ségrégation spatiale organisée sous forme de réserves répond aux intérêts économiques du gouvernement (Bédard 1988:127). À partir de 1940, l’industrialisation touche les Innus de plein fouet. Marquée par le développement de l’exploitation forestière, des établissements hydroélectriques et des activités minières (Charest 1982; Lacasse 1996), cette période bouleverse à la fois l’univers aquatique et les écosystèmes terrestres avec lesquels les Innus mènent leur vie et reproduisent leur société. Pour exploiter les ressources du Nitassinan, le gouvernement délivre désormais un permis. Bien que les Innus disposent de certains droits sur leurs terres ancestrales, celles-ci deviennent le domaine de la Couronne. Cette transformation juridique permet à l’État de concéder des titres de propriété privée, comme en témoigne la dépossession progressive du Nitassinan par Hydro-Québec[8]. Ce nouveau cadre légal, fondé sur l’appropriation et la fragmentation, s’avère indéniablement incompatible avec les fondements du droit et du vivre-ensemble innu.

L’aménagement de vastes lacs artificiels modifie le débit de l’eau et son niveau. Les territoires de vie des animaux à fourrure comme le castor, le rat musqué, la loutre, le vison, ou la martre se retrouvent inondés par les réservoirs avec débit réduit. De là, la traite de poste dut progressivement être abandonnée, et des lieux historiques furent relocalisés (Charest 1982:422). La faune se déstabilise, les habitudes alimentaires et migratoires sont perturbées, la répartition des espèces se trouve chamboulée, les relations interspécifiques de prédation dérangées, et, certaines espèces, comme le saumon[9] (Utshâshumeku), disparaissent localement, devenant à la fois symboles de perte écologique et foyers de tensions politiques (Mailhot 1996:337-41). À cela s’ajoute l’implantation croissante des activités à des fins récréatives, comme des clubs de chasse – établissement de pourvoiries – et de pêche privée, ou des chalets, accompagnés de l’ouverture de leurs routes d’accès. Ces incursions contribuent à l’épuisement des ressources halieutiques et cynégétiques et exacerbent les conflits entre les Innus et les populations allochtones revendiquant les mêmes zones de trappe ou de pêche. Tous ces événements conduisent les Innus à quitter progressivement leurs territoires de chasse. Selon Paul Charest (1982:424), anthropologue et spécialiste des Mamit Innuat (Ekuanitshit, Pakua shipu, Unamen shipu), ce retrait s’est effectué de manière « more-or-less consciously » ; une libération coercitive des terres indiennes et de leurs abondances de ressources naturelles au profit du capitalisme privé d’État.

L’auteure innue An Antan Kapesh de Matimekush-Lac John manifeste brillamment ce projet colonial de dépossession territoriale orchestrée par les Blancs, ainsi que ses conséquences désastreuses sur l’accès des Innus à leur territoire. Dans Je suis une maudite Sauvagesse / Eukuan nin matshi-manitu innushkueu, elle témoigne des relations prééminentes entre les Innus et les animaux, bafouées au fil du processus de « mise en valeur » des terres indiennes.  Elle dénonce avec vigueur les mécanismes d’assistance sociale conçus pour maintenir les Innus confinés dans les réserves, afin de libérer les terres à l’exploitation blanche (Kapesh [1976] 2019:14-7). Elle rejette les lois des Blancs en rappelant qu’elles n’ont aucune légitimité sur les terres indiennes, qu’elles sont étrangères aux réalités innues. Selon l’auteure, ce sont les Innus qui auraient dû faire entendre leurs lois, plutôt que de se soumettre à celles d’un peuple envahisseur. Ces lois autorisent, entre autres, la consommation d’alcool – poison introduit par les Blancs, dont la consommation par les Autochtones sera ensuite critiquée – tout en rendant malade un peuple qu’elles éloignent de ses façons de vivre, de ses animaux, et donc, de sa santé (Kapesh [1976] 2019:194-97). Désormais révolu, l’auteure raconte un temps où le caribou foisonnait (Kapesh [1976] 2019:86-7). Depuis, les terrains de chasse se retrouvent engloutis par les eaux, tandis que les animaux « indiens » se retrouvent sous la gouverne du Blanc. « Nos animaux, les animaux indiens, ne nous appartiennent plus aujourd’hui, ils sont les animaux du Blanc » accuse-t-elle (Kapesh [1976] 2019:189-91). Elle ajoute qu’ils ont été salis, gaspillés, par ceux-là mêmes qui interdisent aux Innus d’en vivre (Kapesh [1976] 2019:18-23). Le nord du Nitassinan n’échappe pas à l’emprise libérale. Lors de sa migration annuelle, le grand troupeau de caribous de la rivière George évite dorénavant la réserve de Matimekush-Lac John en raison du pullulement des barrages proches des principales rivières de la péninsule Québec-Labrador (Cassell 2021:32). Aujourd’hui encore, des projets miniers se développent à Matimekush-Lac John, tandis que leurs promoteurs tentent d’en présenter les aspects bénéfiques aux Innus. Avertis par leur histoire, ces derniers sont conscients que les projets économiques restreignent leurs liens au territoire, et que les chalets construits en dehors de la réserve, dans le Nutshimit, sont bien plus précieux que les mines susceptibles de les remplacer. En effet, lorsque des terres font l’objet d’une mise en valeur économique et supplantent les entités favorables à l’innu-aitun, leur corps, en tant qu’outil relationnel, s’y retrouve désuet.

Corollaire d’un abandon progressif, total ou partiel, des territoires cynégétiques par leurs utilisateurs, il ne peut être que constaté un déclin des activités économiques liées à la chasse (Charest 1982:420-21). La diminution significative des ressources alimentaires issues de la chasse affecte directement les modes de subsistance. Par ailleurs, il serait injuste d’ignorer la contribution déterminante des Innus à l’exploration et à la « mise en valeur » de l’arrière-pays. Leur connaissance intime des territoires, des reliefs et du vaste réseau hydrographique a constitué un savoir inestimable pour les ingénieurs et les planificateurs (Charest 1982:422). Cette expertise, issue d’une relation ancestrale avec le Nitassinan, a paradoxalement permis la progression des projets d’aménagement qui allaient accélérer leur propre dépossession. Par un retournement, à la fois tragique et paradoxal, ils ont, en partageant leur savoir, involontairement contribué à leur propre marginalisation – pour Paul Charest (1982:422), « the Montagnais have contributed to their own dispossession ».

La diminution de la chasse, la réduction des terres accessibles, la censure des pratiques permettant de communiquer avec l’animal – comme le rituel de la tente tremblante[10] (Lacasse 2004:20) – et « l’atrophie psychique » (Leroux 2009:94) – suicides, violence physique et abus de drogue et d’alcool –, ont concouru à l’effacement de l’ordre symbolique, des valeurs et des responsabilités familiales. Même pour les Innus les plus éloignés des habitats des colons à l’est du Québec et du Labrador, à mesure que l’influence euro-canadienne se véhiculait à travers l’éducation scolaire et les médias (Armitage 1992:64 ; Samson 2003:211), les valeurs innues s’estompaient, un monde s’effaçait. Porteuse de pouvoir, la chasse incarnait une dimension spirituelle ancrée dans le rôle des aînés. Avec son déclin, c’est aussi ce pouvoir qui s’est vu fragilisé, au même titre que plusieurs rituels dorénavant en déshérence (Armitage 1992:88).

Depuis l’appropriation étatique de la faune, tel que l’imposition de lois restrictives sur la chasse (Vachon 1985:31-32) et les limitations des territoires de piégeage, ainsi qu’une sédentarisation forcée dans la réserve de Natashquan durant les années 1960, le chasseur innu Michel Grégoire raconte : « Depuis ce moment, je ne chasse plus. Je ne fais que m’asseoir. Mes souvenirs se terminent ici » (Dominique 1989:139). Devenu aliéné, ce n’est plus seulement le territoire qui se perd, mais le corps qui ne répond plus à son appel. C’est la mémoire, les savoirs et la culture, ces liens mêmes qui se tissaient entre les Innus et leur monde, qui se trouvent ébranlés et qui induisent la sédentarité.

II. LE POUVOIR MOBILE : LE RÉENGAGEMENT DES CORPS

A. Nomadisme, espace mobile et pouvoir mobile

Les efforts de division ontologique entre nature et culture, animés par l’ambition – l’espoir ? – de faire des « sauvages et nomades » des « civilisés et sédentaires », ont toutefois buté à chacune des strates sociétales sur lesquelles le gouvernement obstinait à intervenir. Le système de pensée occidental n’a pas été totalement réfuté par les Innus mais, sans effacer les anciennes, son intégration n’a donné lieu qu’à de nouvelles allégeances. Dans certaines communautés, il en résulte un dualisme politique, celui de la Couronne et celui des maîtres des animaux, l’un gérant la farine et la réserve, l’autre le gibier et Nutshimit (Vincent 1991). Dans une optique voisine, même si parfois s’opère un « métissage religieux » selon Gagnon (2007), notamment chez les Mamit Innuat, une séparation spatiale des spiritualités s’est dessinée, où le Dieu chrétien est honoré dans la réserve, tandis que les esprits maîtres des animaux conservent une place de choix sur le territoire (Barriault 1971:16-7). Conjointement, l’agriculture ne fait pas sens et, hormis en période de famine, elle n’est pas valorisée (Bédard 1988:68, 101). Comme le témoignent les mémoires d’Amanda Siméon dans le roman Kukum de Michel Jean, « les agriculteurs s’imaginent que leur terre les protège de la sauvagerie. En réalité, elle en fait ses esclaves » (Jean 2019:19). Malgré les pressions, les Oblats désespéraient que la réserve ne freine pas l’« errance » des Innus (Bédard 1988:59), qui n’ont jamais cessé de chasser et de cueillir en conjuguant ces activités avec le travail salarié. Ce dernier, s’il assure une subsistance accrue, procure un épanouissement moindre et « possède un effet inhibant sur le mécanisme de production de personne de l’économie traditionnelle » (Duchesne 2019:176), incluant le système de valeurs comme le partage. Il n’est donc jamais devenu le moyen de subsistance à privilégier. Enfin, le rapport au territoire a considérablement changé, mais reste prééminent. Si les générations récentes se sentent moins appartenir au Nitassinan qu’à leur réserve, notamment pour la chasse, la conscience territoriale et le sentiment de souveraineté liés au Nitassinan restent solidement ancrés. De plus, même si le gouvernement et les industriels tiennent peu compte de cet aspect, certaines communautés conçoivent encore le territoire selon un régime familial, où les terres sont transmises de génération en génération.

La persistance d’une mobilité liée à celles des autres qu’humains étant l’écueil qui se dresse devant les formes de restriction spatiale évoquées, demeure-t-il pertinent de parler d’une sédentarisation innue ?

À l’égard de la pluralité des organisations socio-spatiales, des histoires coloniales et des contraintes territoriales, l’exemple des Innus nous montre que l’opposition nomade-sédentaire devient trop stricte pour caractériser la mobilité des peuples. Cette opposition catégorique des mobilités repose sur une conception du monde qui tend à séparer les espaces mobilisés selon qu’ils soient « naturels » ou « artificiels ». Dans ce cas, l’emploi du terme « sédentarisation » facilite la traduction de la mobilité (post-)coloniale marquée par l’abandon de la tente au profit de la maison, espace de vie qui renforce l’idée d’une barrière avec le monde extérieur, mais recourir à cette dichotomie pour échelonner le mode de vie « passé », et l’autre « nouveau », reviendrait à nier le mode d’existence spatial des Innus tout en les réduisant aux conceptions naturalistes du monde. En ces termes, le nomadisme ne se réfère pas à une utilisation particulièrement intense de l’espace physique mais plutôt à un rapport à celui-ci ; il est un état d’esprit, non pas un état physique. Au fil de cet article, c’est en ce sens que le terme « corps » est employé. La notion de corporalité innue ne se limite pas à l’enveloppe physique. Elle englobe l’être intérieur, lui-même en résonance avec le monde extérieur, et c’est justement cette résonance qui influence leur mobilité. C’est alors en réengageant le corps au sein du territoire que les liens tissés avec celui-ci peuvent se générer, même si ce réengagement est discontinu et qu’il demeure partiellement actualisé dans le temps.

Malgré les transformations des mobilités, qu’elles soient adaptées, contraintes ou réappropriées – qu’il s’agisse de la durée ou de la nécessité des trajets, des distances parcourues, de l’animal convoité, de l’activité pratiquée, des conditions climatiques, environnementales ou sociales, du nombre de participants, de la structure de l’habitat, des droits ancestraux, de la composition sociale du groupe, des rites, des formes mêmes de déplacement et de localisation, du rapport au territoire ou des lieux de culte (etc.) – les modes de déplacement continuent d’orienter la vie innue. Si, modulés par les ressources, les lieux de culte, les rituels ou les rencontres, ces modes de déplacement permettent encore de tisser des liens sociaux entre humains, groupes humains, et non-humains, alors, le nomadisme innu perdure. Celui-ci se solde ainsi, au gré d’un réseau construit par les diverses formes de mobilité, par un contrôle territorial continu.

Faisant couramment référence à la mobilité, le nomadisme revient à se déplacer pour satisfaire les besoins liés au système de production particulier d’un peuple. Au regard de l’organisation spatiale que ces besoins imputent, le mode de vie nomade peut prendre diverses formes. Barnard et Wendrich (2008) distinguent trois catégories de mobilités : la mobilité résidentielle, où le groupe quitte un lieu en se déplaçant du camp de base selon un modèle ; la mobilité logistique, correspondant à des voyages d’un à plusieurs jours loin du camp de base ; et, la mobilité restreinte, relative à un déplacement limité dans le temps en raison de contraintes territoriales ou sociales. Que les Innus aient mobilisé tous ces types de mobilité au cours de leur histoire est une adaptation territoriale, que celles-ci soient, au prisme des contraintes coloniales, reconsidérées pour maintenir le lien avec le territoire, est une forme de pouvoir. Ce qui est nommé pouvoir mobile correspond ainsi aux déplacements d’un peuple transcendant le système territorial dominant. Lorsqu’un peuple s’adapte aux ressources du système au gré d’une agencéité relative à une manière d’être-au-monde, sauvegardant ses pratiques territoriales, le pouvoir mobile agit, redéfinit et contrôle un espace. Il maintient ainsi un mode de vie, des rites, une manière de construire des savoirs, et une culture.

Par ailleurs, l’étude de la mobilité n’est autre que l’étude des mouvements dans l’espace, et donc, par sa centralité, celui-ci nous incombe d’y prêter attention. Lors d’une étude sur les peuples nomades au Sahel, territoire africain hautement marqué par le colonialisme, le géographe Denis Retaillé (2005) conceptualisa ce qu’il nomma l’espace mobile. Pour lui, « l’espace n’est pas passif, simplement surface d’enregistrement qui donnerait à voir mais actif, joué, global. Il est une modalité de l’existence » (Retaillé 2005:185). L’espace se (re)définit à travers des usages et des pratiques. Il considère que l’espace social résulte d’un ensemble complexe de relations – en intégrant, dans notre cas, les non-humains –, d’usages et de signification, sans se limiter à l’espace absolu, relatif ou phénoménologique, c’est-à-dire celui vécu par les peuples. L’espace mobile est donc celui des pratiques sociales ; il est mouvant !

Par ailleurs, Retaillé ajoute que :

 « la spatialité, le mode d’existence spatial, comprennent, il faut l’admettre, des pratiques dissidentes, marginales qui sont les inventions et les productions continuées de l’espace, insoumises aux règles qui sont imposées comme des règles de société et ne sont pas celles de l’espace abstrait bien qu’elles l’invoquent ». (Retaillé 2005:188).

L’espace abstrait est une manière de penser l’espace comme une surface neutre, calculable et organisée selon des règles strictes, il est l’espace moderne des colons, réfléchit comme universel. Ne prenant pas l’espace tel qu’il est vécu par les sociétés, en particulier en tenant compte des relations, les dynamiques socioculturelles et les usages réels des lieux, il donne à voir, en réalité, une idéologie coloniale de contrôle (Retaillé:189-91). L’espace abstrait est donc fixe, et souvent pensé en fonction d’une logique économique d’optimisation déconnectée des réalités sociales.

En bref, l’espace n’est pas juste un cadre neutre : il est lié à la manière dont les sociétés se définissent, interagissent, et donnent sens à leur monde. L’espace, chez les Innus, est produit par les relations. La mobilité permet aux Innus de mobiliser leur espace légitime – territoires ancestraux –, qui, comme le souligne Retaillé (2005:193), se démarquent de l’espace légal. Ce n’est que lorsque l’espace mobile prend le pas, résiste ou coexiste avec l’espace fixe, celui des colons sédentaires, par continuité ou adaptation de leur mobilité, que cette mobilité tient son pouvoir.

B. Le pouvoir mobile : exemple de Matimekush-Lac John

Cet article tend à subsumer l’identité innue sous le prisme d’une culture et d’une histoire coloniale commune. Toutefois, il importe de rappeler que l’identité innue se façonne d’abord au sein de la communauté, plutôt qu’à l’échelle de la nation. Chaque communauté développe sa propre capacité d’action, son pouvoir localisé et des pratiques qui lui sont propres. L’exemple présenté ici renvoie à une communauté particulière. Il est donc possible que d’autres communautés n’adoptent pas les mêmes formes d’action évoquées, et que, au sein même de cette communauté, les intentions des différentes familles varient.

Malgré le paysage mutilé par les mines et les invitations pressantes du gouvernement à exhorter la réserve après la fermeture des mines en 1986, les Innus de Matimekush-Lac John revendiquèrent leur territoire (Cassell 2021:28). Située à proximité des grands troupeaux de caribous migrateurs, cette réserve s’inscrit au cœur d’un territoire ancestral de chasse et non loin d’un lieu sacré, le Mushuau-nipi. Or, si cette localisation reste opportune au regard de l’histoire qu’elle porte, elle se complique du fait qu’elle se trouve à la frontière administrative du Québec et du Labrador – deux juridictions aux régimes de droits distincts – et à proximité des terres naskapies, sur lesquelles des droits avaient déjà été reconnus. Par ailleurs, les Innus sont soumis à l’autorité du régime fédéral – celui du gouvernement canadien. Le caribou, quant à lui, relève des dispositifs de gestion faunique, placés sous l’égide des régimes provinciaux, ici le Québec et le Labrador. Les Innus se trouvent ainsi à l’intersection de deux ordres de pouvoir et de valeur, impliquant deux formes de négociation : l’une avec l’État, l’autre avec l’esprit maître de l’animal. Ces dispositifs territoriaux, en segmentant l’espace et en hiérarchisant les rapports, entravent la capacité des Innus à honorer les engagements qu’ils sont tenus de coconstruire avec l’animal. Pourtant, les territoires ancestraux innus s’étendent au-delà de ces lignes imposées par l’ordre administratif. En transcendant ces barrières, artificielles et virtuelles, la mobilité devient une affirmation de souveraineté : un contre-pouvoir face à l’instrument colonial que constitue le découpage provincial.

Les déplacements sur les territoires de chasse en constituent l’expression la plus vive. Fidèles à leurs usages, les Innus continuent de se rendre sur leurs terres de chasse, même lorsque ces déplacements sont qualifiés d’illégaux par l’État, au risque de provoquer des altercations avec les garde-chasses. Lors d’un entretien, une personne innue – qui envisageait d’ouvrir une pourvoirie afin de préserver le lien avec son territoire de chasse familial – confia à l’avocate Elizabeth Cassell (2021:30) avoir déclaré aux garde-chasses :

« You guys, just arrest us and imprison us because there is nothing more that we could ask than to be in prison because we want to defend our land and maintain our relationship to the land… »

Une telle situation illustre une injustice manifeste, d’autant plus criante que de telles restrictions ne s’appliquaient pas aux chasseurs sportifs, dont la présence fut encouragée par le gouvernement jusqu’au début du XXIᵉ (Bureau et Renaud 2008).

Les grandes expéditions vers le caribou ne s’effectuent que quelques fois l’an, en petits groupes, et la viande prélevée est ensuite distribuée équitablement à l’ensemble de la communauté, qui, pour beaucoup, se déplace peu hors de la communauté. Cette chasse collective, qui s’étend généralement sur une à trois semaines, demeure possible grâce aux efforts soutenus du Conseil de bande, qui œuvre à en assurer la subvention. Comme pour d’autres formes de chasse, elle s’appuie sur un réseau de campements satellitaires. Certains de ces campements se trouvent sur des territoires officiellement interdits aux Innus ; ils témoignent à la fois de la continuité des mobilisations sur les territoires de chasse ancestraux et de la résistance persistante face à leur dépossession juridique.

Originairement prévu pour acheminer les minerais de Schefferville au Port de Sept-Îles, le train Tshiuetin constitue la première ligne ferroviaire d’Amérique du Nord exploitée par des Autochtones (Innus et Naskapies). Dans un contexte où le caribou se fait de plus en plus rare et difficile d’accès pour les communautés de la Côte-Nord, la maîtrise de cet agent mobile devint une ressource stratégique : il permit de transporter les Innus vers les zones de chasse et d’acheminer le gibier afin de redistribuer la viande aux communautés. Cette ligne assure ainsi la vitalité des activités traditionnelles et la continuité de l’innu-aitun. Pourtant, comme le rapporte Elizabeth Cassell (2021:57), même ici, des interdictions gouvernementales ont visé le transport de viande de caribou. L’avocate y voit l’expression d’un stratagème destiné à détacher les Innus de leur mode de vie, de leurs liens avec les animaux et de leur subsistance fondée sur la chasse. Mais les Innus ne s’y résignent pas : ils continuent de faire voyager le caribou par les voies légitimes[11].

Enfin, tout comme Paul Charest (2020:891), nous considérons que la pratique de la chasse, même pratiquée en avion, est du nomadisme avec des moyens modernes. Aux usages allogènes, les Innus ont adapté leurs modes de locomotion – bateau à moteur, voiture, avion, motoneige – au point d’en dépendre. Autrefois, l’incertitude de la chasse était réduite par un ensemble de savoirs dont découlent des techniques divinatoires. Lorsque la rencontre avec le caribou semblait vaine, les Innus recouraient à la scapulomancie. Les chasseurs expérimentés prélevaient une scapula de caribou (ou de porc-épic) pour le disposer dans le feu d’un poêle jusqu’à carbonisation. À mesure que les taches de brûlure et les fissures apparaissaient, celles-ci indiquaient les directions, les emplacements à suivre et, si oui ou non, la chasse serait bonne.

De nos jours, l’aviation remplit une fonction comparable : repérer les hardes et estimer leur nombre, avant de les suivre en motoneige, plutôt qu’à les rabattre comme le faisaient certaines pourvoiries, soutenues par le gouvernement, au profit du tourisme de chasse[12]. Loin d’être une croyance, la scapulomancie s’inscrit dans un système technique. De même, les Innus empruntent aux colons les techniques de déplacement quand celles-ci n’entrent pas en désaccord avec leur système de valeurs et profitent à l’établissement de leur structure sociale et des liens avec leur territoire. Le caractère adaptatif du pouvoir mobile fait de lui un instrument de contrôle territorial. Il assure aux Innus de Matimekush-Lac John une autonomie relative, une continuité des liens avec Atiku et la capacité d’agir sur leur monde.

En ce sens, à Matimekush-Lac John, l’appropriation d’outils technologiques, hérités du processus même de domination, peut devenir source de résistance. Pourtant, c’est depuis leur corporalité que les Innus instaurent le mouvement. L’oppression des corps, imposée par le système socio-économique et juridique à la communauté, et le désengagement des corps, induit par les activités humaines, persistent indubitablement. Ils sont les causes de la limitation des déplacements, parfois jugés oisifs (Silberstein 1998:15). Mais lorsque les déplacements adviennent, ils ne répondent pas à l’inertie : ils œuvrent avant tout à nouer des liens avec les non-humains[13]. Or, si le corps est l’opérateur ontologique (Laugrand 2013:220) qui engendre ces déplacements, il constitue également le lieu de la résistance, où le pouvoir mobile est produit. Nous soutenons ainsi que le nomadisme ne se définit pas par la fréquence des déplacements, mais par leurs raisons et motivations, lesquelles émergent avant tout par le biais de la corporalité.

CONCLUSION

Dès ses premières pages, le Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015:1) définit le génocide culturel :

« [Il] est la destruction des structures et des pratiques qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que groupe. Des États qui s’engagent dans un génocide culturel visant à détruire les institutions politiques et sociales du groupe ciblé. Des terres sont expropriées et des populations sont transférées de force et leurs déplacements sont limités. Des langues sont interdites. Des chefs spirituels sont persécutés, des pratiques spirituelles sont interdites et des objets ayant une valeur spirituelle sont confisqués et détruits. Et pour la question qui nous occupe, des familles à qui on a empêché de transmettre leurs valeurs culturelles et leur identité d’une génération à la suivante ».

Or, compte tenu du système juridico-politique actuel vécu par les Innus, les empêchant de vivre pleinement leur mode d’existence spatial et ainsi agir sur leur territoire, d’exercer leurs pratiques spirituelles, d’entretenir les liens sociaux unissant humains, groupes humains et non-humains, ainsi que de transmettre leurs savoirs et leurs valeurs aux générations futures, il est légitime de s’interroger sur les processus de réconciliation affichés par le gouvernement canadien.

Bien que, pour analyser les effets sur la mobilité, il ait été choisi de dissocier ces deux aspects du système colonial, Paul Charest (1982) rappelle à juste titre que la sédentarisation et le capitalisme industriel ont évolué au même rythme sur le Nitassinan. Ces modes de contrôle territorial, assujettissant d’une part les Innus à des espaces gouvernés, institutionnalisés et contrôlés par l’État, et les aliénant, d’autre part, à un territoire redéfinit selon des logiques extractivistes de domination sur les autres qu’humains, mettent en relief la séparation ontologique entre nature et culture par opération spatiale. Celle-ci se forme de manière à aboutir à deux aires mutuellement exclusives : l’espace civilisé, dominant et sédentaire – à mobilité restreinte –, incarnant l’espace de la culture ; et l’espace sauvage, dominé et nomade – à mobilité ouverte –, incarnant l’espace de la nature ; aux extrémités desquelles une frontière perturbe les possibilités d’interconnexions et compromet les relations entre humains et non-humains.

Les restrictions territoriales entravent ainsi l’expression de la corporalité processuelle des Innus, mais celle-ci leur permet néanmoins d’exercer des flux relationnels en composant avec leur nouveau monde, « sédentaire », certes, mais pas strictement « humain ». Par l’adoption de nouveaux modes et techniques de déplacement, l’outrepassement de ces lignes devient pour les Innus source de pouvoir, disons plutôt, un excellent contre-pouvoir ontologique, capable de libérer leur manière d’être et d’agir sur leur monde. Ce pouvoir mobile, dont l’orchestre est le corps, est une force à la fois ontologique et épistémologique : il résiste face aux injonctions spatiales des colons, transforme les espaces – physiques, vécues, mais surtout sociaux – selon des usages et pratiques, et garantit l’existence du monde innu. Le pouvoir mobile innu, qui, en raison des dimensions contextuelle, historique et territoriale qui le génèrent, se déploie différemment selon les communautés, s’oppose néanmoins toujours à la tradition naturaliste de sédentarisation.

Le Nitassinan entretient des liens historiques, économiques et culturels ; il est une appartenance innue à la terre (Lacasse 1996:188-89). Mais l’engagement dans le territoire, à l’intérieur des terres, le Nutshimit, renvoie à l’ontologie territoriale des Innus et au tissu social vécu avec les non-humains. Son aspect holistique de l’existence lui confère une dimension intime et politique : il est plus qu’un territoire à protéger, il incarne une manière d’être dans le territoire. Au sein même des Innus, de nombreux débats concernant le territoire se manifestent. L’un d’eux concerne le Mushuau-nipi. Inscrit comme patrimoine protégé, certains s’interrogent sur la nécessité de le réhabiliter afin d’en faire un terrain où la praxis innue peut (re)vivre, autrement dit de reconcevoir cet espace comme nomade. D’autres, en revanche, plaident pour le maintenir en lieu cultuel, de manière à préserver la mémoire des Innus. Il prendrait alors la forme d’un espace fixe, conforme aux codes spatiaux des colons, ce qui facilite sa protection. Ce débat ouvre deux horizons qui permettent, chacun à sa manière, de produire du pouvoir mobile. Si l’un participe au regain du mode d’existence spatial des Innus, l’autre reste constitutif d’un espace symbolique, où le séjour plus ou moins éloigné de la communauté donne lieu au renouement avec les ancêtres, faisant du changement des mobilités une manière de voir comment les humains construisent leur monde, reliant passer, présent et futur, dans un même instant (voir notamment Retaillé 2005:196-201) ; là où les colons relèguent souvent la dimension temporelle. Dans ce dernier scénario, l’espace fixe s’octroie le pouvoir de légaliser un espace nomade où relation, identité, mémoire, rencontre, et réciprocité s’actualisent en mettant en lumière le caractère politique, mémoriel et de guérison, que constitue Nutshimit.

À travers ces débats portant sur la valorisation du territoire, la résistance à l’ontologie dominante et la coexistence des modes d’existence spatiaux, notamment par le déploiement du pouvoir mobile, nous tenons à suivre, enfin, l’affirmation de Paul Charest (2020:61), pour qui « la sédentarisation des Innus n’est pas achevée et on peut se demander si elle le sera un jour ».

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[1] La carte est issue d’un article de Caroline Desbiens, Justine Gagnon et Yasmine Fontaine (2021), portant sur l’expérience du mouvement dans la transmission culturelle.

[2] La nature préparatoire de mon terrain ethnographique nous amène à privilégier les observations et les nombreuses discussions informelles.

[3] Chez les Innus, le caractère de ce qui est animé ou non animé différent de ce qui est normalement conçu chez les colons.

[4] Pour en savoir davantage sur les mécanismes bien ficelés de la sédentarisation des Innus, le remarquable ouvrage de Paul Charest « Des tentes aux maisons : la sédentarisation des Innus », publié en 2020, reste un ouvrage érudit, complet et chargé de référence.

[5] Le terme « Montagnais » était utilisé autrefois pour désigner les Innus. Il fut introduit par les premiers colons dès 1603.

[6] Il convient de noter que ces communautés ne sont plus perçues de cette manière de nos jours.

[7] La Compagnie de la Baie d’Hudson, fondée en 1670, est l’une des plus anciennes entreprises commerciales d’Amérique du Nord. Elle détenait pendant plusieurs siècles le monopole du commerce des fourrures.

[8] Hydro-Québec est une société québécoise qui produit et distribue de l’électricité, principalement issue de l’hydroélectricité, et constitue l’un des plus grands fournisseurs d’énergie en Amérique du Nord.

[9] Notons que le saumon est l’un des animaux les plus importants du bestiaire innu. Dans certaines communautés innues, il est plus important que le caribou. Ce n’est pas pour rien que dans un mythe innu, Missinâku, maître des animaux aquatiques, prend le dessus sur Papakassiku, le maître du caribou.

[10] Ce rituel permettait de mettre en relation les Innus et les entités-maîtres par l’intermédiaire d’un chamane.

[11] Les Innus de Uashat mak Mani-utenam œuvrent à la préservation du caribou, allant parfois jusqu’à renoncer entièrement à sa chasse et à son acheminement vers d’autres communautés de la Côte-Nord, afin d’en assurer la survie pour les générations futures.

[12] Le rabattage de caribou est toutefois possible en motoneige, comme il pouvait l’être à pied.

[13] Par exemple, les déplacements reposant uniquement sur une motivation sportive sont rares.

Auteur :

Marck PEPIN est doctorant en anthropologie, Université Laval