La réparation des déplacements forcés
de peuples autochtones en droit international

Luc Leriche


Résumé

L’article examine les obligations secondaires des États en matière de réparation lorsque leur conduite est à l’origine du déplacement forcé d’un ou plusieurs peuples autochtones. Les évolutions contemporaines du droit international mettent en lumière la nécessité pour les États d’appliquer des mesures de réparation culturellement adaptées qui prennent en considération le mode de vie des peuples concernés ainsi que la nature spécifique des dommages qui leur ont été causés. La mise en œuvre de ces mesures reste cependant imparfaite du point de vue des peuples autochtones déplacés, ce qui invite à repenser le modèle compensatoire existant.

Abstract

The article examines the secondary obligations of States with regard to reparations when their conduct has caused the forced displacement of one or more indigenous peoples. Contemporary developments in international law highlight the need for States to implement culturally appropriate reparations measures that take into account the way of life of the peoples concerned and the specific nature of the harm caused to them. However, the implementation of these measures remains imperfect from the perspective of displaced indigenous peoples, which calls for a rethinking of the existing compensatory model.

Citer cet article

Leriche, Luc. 2025. « La réparation des déplacements forcés de peuples autochtones en droit international ». Nomopolis 3

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a rendu le 7 mai 2025 une communication historique reconnaissant la responsabilité internationale du Guatemala pour les « dommages transgénérationnels » causés aux peuples Mayas K’iche’, Ixil et Kaqchikel à la suite de leurs déplacements forcés dans le cadre du conflit armé interne qui s’est déroulé dans le pays entre 1978 et 1996 (Comité des droits de l’homme 2025). Il s’agit de la première consécration formelle, par un organe international de protection des droits de l’homme, de l’impact « intergénérationnel », i.e. sur plusieurs générations, des préjudices subis par un peuple autochtone du fait de la violation de ses droits fondamentaux découlant d’un déplacement forcé. Dans cette affaire, le Comité a établi le caractère « continu » de la violation des droits des peuples autochtones déplacés de force – notamment en ce qui concerne le droit de pratiquer et de transmettre leur vie culturelle aux générations futures – en insistant sur la nécessité pour l’État guatémaltèque d’adopter des mesures de « réparation intégrale » afin d’y mettre un terme (Comité des droits de l’homme 2025, § 15.1). Cette nouvelle interprétation pro indigena de la qualification juridique des dommages causés à la suite d’un déplacement forcé invite à mieux définir les mesures de réparation qui devront être prononcées dans les contextes similaires qui mettent en danger l’intégrité physique et la pérennité de la culture – entendue au sens de mode de vie – des peuples autochtones.

La situation d’exil forcé rencontrée par les communautés Mayas dans cette affaire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des effets dévastateurs que sont susceptibles de causer les déplacements forcés sur la vie présente et future des peuples autochtones. En effet, de nombreuses communautés autochtones à travers le monde se retrouvent sommées de quitter précipitamment les terres qu’elles occupent depuis des « temps immémoriaux » et sur lesquelles repose le socle de leur vie communautaire et culturelle. Les déplacements forcés subis par les peuples autochtones, principalement des « déplacements internes »[1], sont initiés pour l’essentiel par la dépossession directe de leurs territoires traditionnels à des fins économiques, militaires ou touristiques. Ce déracinement des peuples autochtones entraîne « la perte du lien spirituel profond qu’ils ont avec leurs terres et de leurs moyens de subsistance, de leurs langues et de leurs cultures » (MEDPA 2019, § 45). Les déplacements forcés sont appréhendés en droit international des droits de l’homme comme un élément de la violation du droit de propriété collectif des peuples autochtones tel qu’il a été consacré dans la jurisprudence des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme. Les systèmes régionaux africain et interaméricain ont en effet reconnu l’existence, en droit international, d’une conception autochtone du droit de propriété dont l’existence repose sur la preuve de la possession traditionnelle du territoire et non sur la délivrance d’un titre de l’État. La reconnaissance de cette propriété collective sui generis aux peuples autochtones, dont l’objectif est de « créer un contexte propice à la garantie de la pérennité de leur existence » (Cour ADHP 2017, § 115 ; Commission ADHP 2024), a pour fonction de restreindre les prérogatives souveraines de l’État sur leurs territoires traditionnels. Les autorités étatiques sont notamment tenues de respecter le droit au consentement libre, préalable et éclairé des peuples concernés lorsqu’elles envisagent des mesures susceptibles d’avoir des incidences sur leur propriété ou de conduire à leur déplacement forcé[2]. Ainsi, les déplacements forcés de peuples autochtones ne bénéficient pas d’un régime de réparation indépendant ; les externalités négatives qu’ils engendrent sont évaluées dans le cadre de la réparation générale de la violation des droits fonciers autochtones.

Les déplacements forcés de peuples autochtones peuvent également être le fruit d’une dépossession indirecte de leurs terres ancestrales du fait des effets néfastes – et toujours plus pernicieux – des changements climatiques sur celles-ci. Selon l’article 2 (1) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992, la notion d’« effets néfastes des changements climatiques » s’entend des « modifications de l’environnement physique ou des biotes, [i.e. la faune et la flore], dues à des changements climatiques et qui exercent des effets nocifs significatifs sur la composition, la résistance ou la productivité des écosystèmes naturels et aménagés, sur le fonctionnement des systèmes socio-économiques ou sur la santé et le bien-être de l’homme ». Étant « attribués directement ou indirectement à une activité humaine » (CNUCC 1992, art 2 § 1), les changements climatiques accélèrent la dégradation environnementale des territoires autochtones. En effet, s’ils ne sont pas la cause directe de toutes les catastrophes liées au climat, les changements climatiques rendent « certains aléas plus fréquents et plus intenses » (GRID 2024:19). Parmi les phénomènes climatiques susceptibles de contraindre un peuple autochtone à quitter ses terres ancestrales, il est possible d’évoquer « les sécheresses persistantes, les inondations, la désertification, […] l’intensification de l’activité sismique et volcanique, les tempêtes, l’érosion et les submersions qui diminuent l’étendue des zones de pêche et des territoires où la chasse est abondante » (MEDPA 2019, § 42). Plusieurs peuples autochtones – à l’image de certains États insulaires – sont ainsi contraints d’envisager une réinstallation en raison de la hausse du niveau des océans. L’accroissement du nombre des feux de forêt participe également à la mise en mouvement forcée des peuples autochtones, comme ce fut le cas au Canada, en Alberta, à la fin de l’année 2023 (ONFR 2023).

Les déplacements initiés par les effets néfastes des changements climatiques sont souvent qualifiés d’« involontaires » en ce qu’ils ne résultent pas d’une action directe des autorités étatiques sur les territoires autochtones. Cependant, les peuples concernés allèguent que ces déplacements – qui affectent « leur survie physique et culturelle » – sont en réalité la conséquence du non-respect par les États de leurs obligations en matière de lutte contre les effets des changements climatiques. C’est la raison pour laquelle ils ont enclenché divers contentieux aux niveaux interne et international afin d’inviter le juge à « pallier les limites de la gouvernance climatique mondiale » (Aumond 2023:162). Cette stratégie contentieuse a pour l’instant engendré plus de déceptions que de réussites – hormis la communication Daniel Billy et autres c. Australie du 21 juillet 2022 dans laquelle le Comité des droits de l’homme a sanctionné l’État australien au titre des articles 17 (droit à la vie privée et familiale) et 27 (droit à la vie culturelle) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques pour ne pas avoir adopté des « mesures d’adaptation adéquates » face aux effets des changements climatiques « pour protéger la capacité collective des auteurs [autochtones] de préserver leur mode de vie traditionnel […] » (Comité des droits de l’homme 2022, § 8.14). Malgré une lente évolution, le contentieux visant la réparation des dommages causés par les changements climatiques à l’égard des droits des peuples autochtones est voué à s’accélérer dans les années à venir. Il le sera d’autant plus que la Cour internationale de Justice (CIJ) a officiellement remis, le 23 juillet 2025, son avis consultatif portant sur les obligations des États en matière climatique. Dans ses développements, la Cour reconnait que les changements climatiques « peuvent compromettre la jouissance des droits […] des peuples autochtones » et rappelle que les États parties à l’Accord de Paris de 2016 se sont engagés, lorsqu’ils « prennent des mesures face aux changements climatiques », à « respecter, promouvoir et prendre en considération les droits des peuples autochtones » (CIJ 2025, §§ 374 et 382). L’organe judiciaire principal des Nations unies n’a toutefois pas abordé de front la problématique de la réparation des dommages causés aux peuples autochtones déplacés contre leur gré du fait de la violation des obligations climatiques que l’avis énumère, préférant concentrer son analyse sur les principes de réparation applicables aux litiges interétatiques (CIJ 2025, §§ 449 et s.). En parallèle de cet avis notoire, il faut également mentionner celui rendu le 29 mai 2025 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme portant sur « L’urgence climatique et les droits de l’homme ». Dans le cadre de la demande d’avis consultatif formulée par la Colombie et le Chili en janvier 2023, la Cour de San José était notamment invitée à se prononcer sur les considérations spécifiques à prendre en compte pour garantir les droits des peuples autochtones dans le contexte actuel d’urgence climatique[3]. Les juges interaméricains, qui ont précisé que les peuples autochtones devaient faire l’objet de « mesures différenciées » en raison de leur vulnérabilité accrue face aux changements climatiques, n’ont pas manqué d’apporter des précisions sur les obligations de l’État en matière de prévention et de réparation des déplacements forcés engendrés par son (in)action (Cour IDH 2025, §§ 427, 605 et s.).

Même dans les situations où il n’est pas possible de démontrer l’existence d’un lien de causalité direct entre le déplacement forcé d’un peuple autochtone et l’(in)action climatique de l’État où il réside, ce dernier reste tenu de mettre en œuvre les obligations prescrites par le droit international concernant les « déplacements internes » occasionnés sur son territoire (McAdam 2016:4). Ce régime impose notamment aux États de prendre en considération la situation spécifique des peuples autochtones déplacés. Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays de 1998 disposent par exemple que les États ont « l’obligation particulière » de « protéger contre le déplacement les populations indigènes […] qui ont vis-à-vis de leurs terres un lien de dépendance et un attachement particuliers » (Principe n° 9). Il en est de même de la Convention de l’ Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique de 2009 (Convention de Kampala) qui intègre des obligations complémentaires à la charge des États parties pour les peuples autochtones déplacés. La mise en œuvre de ces obligations spéciales implique l’établissement d’une synergie normative entre le régime des déplacements internes et celui des droits des peuples autochtones que la Commission interaméricaine des droits de l’homme (Commission IDH) a matérialisé dans sa Résolution n° 2/24 portant sur la mobilité humaine induite par le changement climatique du 26 décembre 2024.

Dans ces circonstances, plusieurs questions peuvent être soulevées : quelles sont les mesures de réparation prévues par le droit international dans le cadre des déplacements forcés de peuples autochtones ? Comment ces mesures prennent-elles en considération la nature spécifique des dommages culturels et transgénérationnels subis par les peuples autochtones déplacés ?

Il est un principe, « reflétant le droit international coutumier », selon lequel « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis » (CPJI 1927:21). En pratique, les formes de réparation (restitution, indemnisation, satisfaction) vont dépendre des caractéristiques et des conséquences de l’acte illicite. Concernant les déplacements forcés de peuples autochtones, ils ont pour effet dommageable de couper les liens qu’entretiennent les peuples autochtones avec leurs terres. C’est la raison pour laquelle le droit international impose prioritairement la restitution et la remise en état du territoire sur lequel résidait un peuple autochtone au moment de son déplacement, lui permettant d’exercer – s’il le souhaite – son « droit au retour » (I). Ce n’est qu’en cas « d’impossibilité de restitution » que des mesures compensatoires spécifiques devront être adoptées (II). Or, les réponses classiquement prévues par le droit international en la matière peuvent parfois sembler inadaptées ou purement « symboliques » pour les communautés déplacées (De Mesnard 2023:335), ceci d’autant plus dans le domaine climatique où les dommages sont voués à être « de plus en plus irréparables » (Angelet et Maljean-Dubois 2024:576). C’est pourquoi il est aujourd’hui nécessaire d’adapter les mesures de réparation « selon la perspective des communautés autochtones » dans l’optique de garantir une réparation qui puisse être réellement qualifiée « d’adéquate » et « d’effective » aussi bien en droit qu’en fait (ILA 2012, § 10).

I. LA RESTITUTION DU TERRITOIRE AUTOCHTONE ET SON COROLLAIRE : LE « DROIT AU RETOUR »

La restitution constitue l’acte par lequel une violation du droit international prend fin en rétablissant, « dans toute la mesure du possible », la situation d’origine des victimes, c’est-à-dire celle « qui aurait vraisemblablement existé » si ladite violation n’avait pas été commise (CPJI 1927:47). Le principe de la restitutio in integrum doit donc être privilégié par rapport aux autres formes de réparation puisqu’il a pour but d’effacer complètement les conséquences négatives d’un fait internationalement illicite (AGNU 2005, Principe IX). Dans cette veine, le droit international a fixé le principe selon lequel les territoires traditionnels autochtones illégalement dépossédés doivent, lorsque le contexte le permet, faire l’objet d’une restitution matérielle au profit des communautés dépossédées et déplacées. L’article 28 (1) de la Déclaration des Nations Unies de 2007 dispose en effet que les peuples autochtones « ont droit à réparation, par le biais notamment de la restitution, […] pour les terres, territoires et ressources qu’ils possédaient traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et qui ont été confisqués, pris, occupés, exploités ou dégradés sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». La restitution du territoire permet aux peuples autochtones d’exercer librement leur « faculté de retour » évoquée à l’article 10 du texte onusien et de renouer avec les éléments constitutifs de leur mode de vie territorial. La Convention n° 169 de l’OIT se montre plus explicite puisqu’elle énonce à son article 16 (3) que les peuples autochtones « doivent avoir le droit de retourner sur leurs terres traditionnelles, dès que les raisons qui ont motivé leur déplacement […] cessent d’exister ». Ainsi, et sans réelle surprise, l’exercice effectif du « droit au retour » des peuples autochtones déplacés de force est consubstantiel à la restitution matérielle de leurs territoires traditionnels.

Cette interdépendance est également reconnue par les organes internationaux de protection des droits de l’homme dont la pratique est venue encadrer les modalités de restitution et de retour des peuples autochtones déplacés à la suite d’une dépossession foncière illicite. La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme affirme notamment que les peuples autochtones qui ont perdu la possession de leurs terres « contre leur gré » et qui en ont été expulsés conservent des droits de propriété sur celles-ci leur permettant d’en revendiquer la restitution (Cour IDH 2006, § 128). Pour les juges interaméricains, le droit à la restitution du territoire – et donc, de manière implicite, le droit au retour – perdure aussi longtemps que les peuples autochtones dépossédés sont en mesure d’attester qu’ils continuent d’entretenir un lien culturel spécifique avec celui-ci (Cour IDH 2015, § 120). Cette approche, sur laquelle s’aligne le système africain de protection des droits de l’homme, est très avantageuse pour les peuples autochtones en ce qu’elle contraint l’État à l’origine d’une expulsion à devoir démontrer que la communauté dépossédée a pleinement renoncé à l’exercice de son mode de vie territorial afin de rendre caduque son obligation de restitution. Elle l’est d’autant plus qu’une simple modernisation – au sens technique du terme – des activités traditionnelles de subsistance ou une évolution des pratiques religieuses – comme l’adhésion d’une partie des membres de la communauté au christianisme – ne permettent pas de qualifier un abandon du lien culturel qu’entretient un peuple autochtone avec sa terre ancestrale (Cour ADHP 2017). Cette interprétation laisse suggérer la reconnaissance d’une « imprescriptibilité de principe » aux demandes en restitution des territoires autochtones illégalement dépossédés (Leriche 2024:165).

Cela ne signifie pas pour autant que le droit à la restitution et le droit au retour des peuples autochtones constituent des droits absolus. Des mesures visant la poursuite d’un objectif d’intérêt public ou la protection des droits individuels des tiers non autochtones peuvent constituer des « restrictions admissibles » à la jouissance et à l’exercice des droits fonciers des peuples autochtones (Cour IDH 2005, § 144). Les États disposent néanmoins d’une marge de manœuvre extrêmement limitée en la matière puisqu’ils ont l’obligation d’évaluer convenablement l’importance que revêt le territoire autochtone pour la survie d’une communauté lors de l’adoption d’une mesure susceptible d’impacter négativement ses droits fonciers et d’entraîner son déplacement forcé. C’est ce qui explique par exemple que la Cour de San José a toujours refusé, dans sa jurisprudence, de faire prévaloir les autres intérêts opposés par les États sur ceux des peuples autochtones, leur rappelant constamment que la restitution des terres et le retour sur celles-ci constituent le socle du maintien – pour le présent et l’avenir – de leur intégrité physique et de leur mode de vie spécifique.

Il semblerait néanmoins, à la lumière des travaux préparatoires de la Déclaration de 2007, que des situations exceptionnelles provoquées par des catastrophes naturelles, des crises sanitaires ou des conflits armés puissent justifier le déplacement forcé d’un peuple autochtone sans son consentement ainsi que l’interdiction – temporaire ou durable – opposée à celui-ci de retrouver la paisible possession de ses terres (GTPA 2002, §§ 79-82). Tout dépend du degré d’urgence et des risques d’atteinte à la vie des peuples concernés. C’est ce qu’a mis en lumière la pratique des tribunaux brésiliens durant la pandémie de Covid-19. Ces derniers, le Tribunal Fédéral Suprême en tête, ont en effet sanctionné les autorités brésiliennes pour ne pas avoir pris la peine de consulter les peuples autochtones en situation d’isolement volontaire dans le cadre de la réponse institutionnelle apportée par l’État pour faire face à la propagation du virus. Comme l’avait précisé la plus haute Cour brésilienne en août 2020, « même si la pandémie exige une capacité de réaction rapide des pouvoirs publics, elle ne saurait autoriser « le retrait extraordinaire de la participation » des peuples autochtones aux mesures sanitaires » qui les affectent – dont le déplacement et la réinstallation peuvent faire partie (Leriche 2021:106).

Lorsque la restitution du territoire traditionnel devient effective et que le retour d’une communauté sur sa terre ancestrale est envisageable, les autorités étatiques sont tenues de prendre toutes les mesures nécessaires « pour que les populations déplacées puissent retourner dans leur lieu d’origine sans courir le risque de voir leurs droits violés » (Cour IDH 2013, § 220). Cela peut impliquer la réhabilitation environnementale des terres souillées par des projets de développement économique et/ou la mise en place de garanties sécuritaires spécifiques établies en consultation avec le peuple concerné dont les membres sont les seuls à pouvoir déterminer concrètement que les conditions permettant leur retour effectif sont réunies (Cour IDH 2005, § 212). L’État ne peut donc nullement imposer le retour d’un peuple autochtone sur son territoire si celui-ci s’y oppose ; il se doit de prendre toutes les mesures permettant le retour au statu quo ante du peuple ayant subi un déplacement forcé du fait de sa conduite illicite. De plus, lorsqu’une communauté autochtone décide de regagner ses terres, l’État doit mener, sur une base régulière, des consultations avec celle-ci afin de s’assurer que les conditions ayant conduit à son retour perdurent (Cour IDH 2005, § 212). Dans le contexte des déplacements climatiques, l’État doit notamment surveiller la survenance de nouveaux risques environnementaux ; mettre en place des mesures de « préventions et d’adaptations pertinentes » et garantir des « conditions d’habitabilité » dans le respect de la culture et des coutumes des peuples déplacés (Commission IDH 2024, § 48).

Si la restitution du territoire ancestral permet à un peuple autochtone d’exercer son droit au retour à la suite d’un déplacement forcé, il existe des situations dans lesquelles la terre a tellement été endommagée qu’elle ne peut être restituée. Cela engendre, par ricochet, la négation du « droit au retour ». Dans ce cas de figure, le droit international prévoit des mesures compensatrices spécifiques qui – comme toute mesure de réparation autre que la restitution – restent imparfaites en pratique.

II. L’ADOPTION DE MESURES COMPENSATOIRES EN CAS « D’IMPOSSIBILITÉ DE RESTITUTION »

La réinstallation (A) d’un peuple autochtone à la suite d’un déplacement forcé doit être appréhendée comme « un processus de dernier recours », ce qui signifie qu’elle doit être entreprise lorsque toutes les mesures de restitution et de réhabilitation des territoires autochtones « ont été épuisées » (Commission IDH 2024, § 50). Des compensations pécuniaires ainsi que des mesures de satisfaction adaptées au « projet de vie » des peuples autochtones peuvent également être prononcées en complément ou en remplacement de la restitution et de la réinstallation (B).

A. La réinstallation des peuples autochtones déplacés

Il est classiquement établi dans la jurisprudence internationale que le principe fondamental de la restitutio in integrum « ne peut être remplacé par l’indemnisation qu’en cas d’impossibilité de restitution ». Cela signifie que l’indemnisation doit constituer une « solution subsidiaire » correspondant « à la valeur qu’aurait la restitution en nature » (CPJI 1927:47). Le même principe a été repris par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en 1997 dans sa Recommandation générale n° 23 concernant les droits des populations autochtones qui dispose que « [c]e n’est que dans les cas où il est factuellement impossible de le faire que le droit à la restitution devrait être remplacé par le droit à une indemnisation juste, équitable et rapide ». Or, si dans nos sociétés occidentales « l’argent est la mesure de la valeur des choses » pour reprendre les mots de Grotius (Opinion in the Lusitania Cases, 1923:35), ce n’est traditionnellement pas le cas pour les peuples autochtones. En effet, même s’ils ont été influencés par la pensée coloniale capitaliste, les peuples autochtones estiment généralement que leurs valeurs et leur identité ne peuvent pas être compensées par de l’argent[4] (Lenzerini 2018:574). Leur objectif est avant tout de pouvoir « préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité […] qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples » (Martínez Cobo 1982:29). Il faut ainsi comprendre que le « but » ultime de la réparation des peuples autochtones dépossédés et déplacés de force est de garantir « la pérennité de [leur] culture distinctive » (Gilbert 2016:153). Les déplacements forcés ont notamment pour effet de « déconnecter » les générations futures avec leurs territoires traditionnels qui sont « indispensables à la reproduction de leur culture » (Comité des droits de l’homme 2025, § 13.8). Ils entraînent ainsi ce que le Comité des droits de l’homme a reconnu comme étant des « dommages transgénérationnels » qui impactent négativement la capacité du groupe et des enfants qui le composent à maintenir dans le temps les éléments de leur mode de vie distinctif (Comité des droits de l’homme 2025, § 13.8). Il est important de souligner que la notion de « dommages transgénérationnels » mobilisée par le Comité dans l’affaire relative aux peuples Mayas K’iche’, Ixil et Kaqchiquel du Guatemala est particulièrement favorable aux requérants autochtones. Elle permet en effet aux auteurs des plaintes déposées – des enfants et petits-enfants d’individus ayant subi un déplacement forcé[5] – de demander à être reconnus comme victimes de ce déplacement en raison de la continuité de ses impacts négatifs sur leurs conditions de vie actuelles et futures. Le Comité rend ainsi justiciable les effets continus d’un déplacement forcé sur plusieurs générations en identifiant « des violations autonomes de droits affectant directement les descendants des victimes » (Vercruysse 2025). Parmi les droits impactés sur plusieurs générations, on retrouve notamment le droit à la vie culturelle (art 27) entendu comme le droit d’exercer collectivement un mode de vie distinctif. Dans cette veine, les réparations – autres que la restitution – émises à la suite d’un déplacement forcé doivent nécessairement participer à la restauration et à la réappropriation de cette capacité transmissive qui assure la « continuité culturelle »[6] des collectivités autochtones déplacées.

C’est ce qui explique que le droit international préconise la réinstallation des peuples autochtones déplacés de force lorsque leur retour est devenu matériellement impossible. En ce sens, la Convention (n° 169) de l’OIT prévoit à son article 16 (4) que, dans des circonstances où le retour des peuples autochtones sur leurs terres est irréalisable, « ces peuples doivent recevoir, dans toute la mesure possible, des terres de qualité et de statut juridique au moins égaux à ceux des terres qu’ils occupaient antérieurement et leur permettant de subvenir à leurs besoins du moment et d’assurer leur développement futur ». Le texte de l’article précise néanmoins qu’il appartient aux peuples autochtones victimes d’un déplacement forcé d’exprimer leur « préférence pour une indemnisation en espèces ou en nature ». Cette liberté de choix conférée aux peuples autochtones concernant la nature adéquate de la réparation qui leur est due est également prévue à l’article 28 (2) de la Déclaration de 2007 selon lequel, « [s]auf si les peuples concernés en décident librement d’une autre façon, l’indemnisation se fait sous forme de terres, de territoires et de ressources équivalents par leur qualité, leur étendue et leur régime juridique, ou d’une indemnité pécuniaire ou de toute autre réparation appropriée ». La formulation de cette disposition laisse même suggérer que les peuples concernés peuvent réclamer d’autres formes de réparation qu’ils estiment plus adaptées aux fins d’assurer le maintien et la poursuite de leur mode de vie. Ces textes, qui constituent la source principale de la protection internationale des droits des peuples autochtones, s’alignent sur les mesures préconisées par le droit international des déplacements internes, notamment celles de la Convention de Kampala précitée (art 11).

La Cour interaméricaine a également reconnu que lorsqu’un État ne peut pas, « pour des raisons objectives et motivées, adopter des mesures visant à restituer les terres traditionnelles et les ressources communales aux peuples autochtones, il doit céder des terres alternatives d’extension et de qualité égales, qui seront choisies en accord avec les membres des peuples autochtones, selon leurs propres procédures de consultation et de décision ». Elle y ajoute une dimension qualitative puisqu’elle précise que les terres cédées en guise de compensation « doivent être suffisantes pour garantir la préservation et le développement du mode de vie propre à la communauté » (Cour IDH 2006, §§ 135 et 212 ; Cour IDH 2010, § 120). Les juges interaméricains ont préconisé la même solution réparatrice concernant les peuples autochtones « déplacés sans possibilité de retour en raison de catastrophes climatiques [ou] de la dégradation de l’environnement » (Cour IDH 2025, § 427). Cet objectif de maintien du mode de vie autochtone complexifie lourdement la tâche des autorités étatiques dans la mesure où il est matériellement impossible de trouver – ou de créer artificiellement – des terres de substitution disposant de la même fonction sociale et culturelle que celles qui ont été définitivement perdues. Si l’accès à des ressources naturelles équivalentes assurant la subsistance physique du groupe est envisageable, il n’en est rien des sites sacrés naturels et des cimetières autochtones qui ne peuvent nullement être déplacés ou reproduits à l’identique sur un nouveau territoire. Pour ces éléments du patrimoine culturel des peuples autochtones, les États devraient envisager, lorsque cela est possible, d’établir des accès spécifiques leur offrant la possibilité de s’y rendre en toute sécurité. Il s’agit là d’une mesure de restitution partielle qui, selon certains auteurs, devrait constituer « une composante essentielle de la justice réparatrice » des peuples autochtones déplacés (Santi Amantini 2023:55). Ainsi, la mise à disposition de « terres équivalentes » ne peut pas être formellement appréhendée comme une obligation de résultat pour l’État. Celle-ci apparaît plutôt comme une obligation de moyen renforcée impliquant pour les autorités étatiques de tout mettre en œuvre afin d’allouer des terres disposant – tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif – d’une « approximation la plus proche » avec les terres d’origine du peuple déplacé (Morrisson 2014:53).

L’obligation de réinstallation promue par le droit international des droits de l’homme constitue in fine une mesure de réparation incomplète – et donc imparfaite aux yeux des peuples déplacés – étant donné qu’elle ne sera jamais réellement en mesure de compenser pleinement la dénaturation du mode de vie autochtone. Cela étant, des mesures de satisfaction ainsi que des indemnités pécuniaires peuvent venir compléter la réinstallation afin de préserver le « projet de vie » des peuples autochtones déplacés.

B. L’indemnisation pécuniaire et les mesures de satisfaction

L’indemnisation pécuniaire ne doit pas être mise de côté dans la mesure où elle peut compenser les atteintes matériellement irréparables et enclencher le financement de projets visant la revitalisation du mode de vie des peuples autochtones déplacés.  Elle permet également de prendre en considération les pertes de chance engendrées par la dépossession foncière directe ou indirecte à l’origine du déplacement forcé. En effet, même lorsque les territoires restitués représentent exactement les terres initialement spoliées, la restitution en tant que telle ne « compense pas le temps pendant lequel [un peuple autochtone] aurait eu la possibilité de travailler, d’améliorer, de dégrader, de détruire, de vendre ou de modifier [son territoire] » comme il l’aurait souhaité (Morrisson 2014:53). Dans la même lignée, puisque la réinstallation n’est pas en mesure de venir combler l’ensemble des « dommages immatériels », i.e. les dommages moraux, culturels, spirituels et « intergénérationnels », ceux-ci pourront être compensés par des sommes d’argent versées à titre individuel et/ou collectif.

Cependant, comme l’a précisé la Cour africaine en 2022 dans son arrêt sur les réparations relatif à l’Affaire du peuple Ogiek, il est extrêmement difficile d’un point de vue matériel d’établir une « quantification précise et exacte » des pertes subies par un peuple autochtone dépossédé de son territoire et déplacé de force en raison de la valeur singulière qu’il octroie aux éléments composant son mode de vie (Cour ADHP 2022, § 66). Cette affaire est particulièrement révélatrice des difficultés – et des insuffisances actuelles – du calcul des indemnités visant à compenser les dommages matériels et immatériels subis par un peuple autochtone à la suite d’un déplacement forcé. En l’espèce, le Kenya avait été condamné sur le fondement de l’article 14 de la Charte africaine (droit de propriété) pour avoir expulsé illégalement le peuple Ogiek de son territoire traditionnel sur lequel la Cour d’Arusha lui a reconnu l’existence de droits fonciers de nature collective. En parallèle de la restitution du territoire, la Commission africaine – requérante en l’espèce – réclamait un peu plus de 204 millions de dollars américains de dommages-intérêts au titre du préjudice matériel subi par la collectivité autochtone déplacée et 92,5 millions au titre du préjudice moral (Cour ADHP 2022, §§ 64 et 80). Dans le cadre de sa requête, la Commission intégrait parmi les éléments du préjudice matériel subi par les Ogieks : « la perte de leurs biens immeubles sur le terrain, notamment les logements, les sites religieux et culturels et les ruches, [mais aussi] la perte de leur capacité d’exploiter leurs biens et d’en jouir au fil des ans et l’impossibilité de jouir de leurs terres traditionnelles, de les exploiter et d’en tirer profit depuis leur expulsion, y compris l’impossibilité pour eux de tirer le moindre bénéfice financier de leurs ressources foncières, comme celles générées par les concessions forestières et les plantations de thé […] » (Cour ADHP 2022, § 48). La Cour a cependant refusé de se fonder sur la méthode d’évaluation mobilisée par la Commission en raison d’« insuffisances relevées dans [son] rapport d’enquête communautaire » et a estimé qu’il lui fallait « exercer son pouvoir discrétionnaire en toute équité pour déterminer le montant d’une juste compensation » (Cour ADHP 2022, §§ 65-66). L’exercice de ce pouvoir a néanmoins simplement consisté pour la Cour à comparer la situation des Ogieks à celles d’autres peuples autochtones ayant obtenu des réparations pécuniaires prononcées par la Cour interaméricaine dans des affaires jugées similaires. Ainsi, les juges africains n’ont pas pris la peine de détailler les pertes subies par le peuple Ogiek en l’espèce et ont estimé « à la louche » — sur la seule base des sommes allouées par la Cour de San José dans sa jurisprudence – que les dommages-intérêts dus par l’État kényan au titre du préjudice matériel s’élevaient à 57,85 millions de shillings kényans, soit environ 450 000 dollars américains (Cour ADHP 2022, §§ 72-77). Il en fut de même concernant l’évaluation du montant de 100 millions de shillings kényans (680 000 dollars) prononcé par la Cour en guise de dommages-intérêts visant la réparation du préjudice moral du peuple Ogiek. Si la Cour a en partie détaillé les dommages immatériels subis par le groupe, en prenant notamment en considération « l’impossibilité [pour les Ogieks] de pratiquer leur religion et leur culture » (Cour ADHP, 2022, § 89), elle n’a pas clairement précisé comment les quantifier d’un point de vue économique. Il résulte ainsi de cette décision des interrogations en matière de « légitimité et de transparence » des mesures réparatrices prononcées par la Cour africaine (Baiye Mbu et Tambe Endoh 2023:364). Ceci d’autant plus que les sommes fixées dans l’arrêt de 2022 sont très loin des montants réclamés par la Commission qui a pourtant appliqué une « méthode d’évaluation des compensations » qualifiée de « scientifique » par la Cour elle-même (Cour ADHP 2022, § 63). La Commission africaine avait en effet mené une enquête communautaire en soumettant un questionnaire à 151 membres de la communauté Ogiek – « chacun représentant un ménage distinct » – afin de les interroger sur « les pertes pécuniaires résultant directement de la violation » de la Charte africaine. Cette enquête avait été complétée par une « analyse documentaire » visant à quantifier avec précision les « pertes subies par les Ogieks du fait de l’incapacité, pour eux de tirer des avantages financiers des ressources disponibles sur leurs terres » (Cour ADHP 2022, § 49). Si la Commission restait mesurée dans les conclusions de son rapport communautaire soulignant les « difficultés » à évaluer concrètement les dommages subis par les Ogieks, il reste que celle-ci – contrairement à la Cour – se fondait sur des éléments à la fois subjectifs et objectifs pour déterminer la réparation adéquate en l’espèce.

La minimisation de la valeur économique des préjudices subis par les peuples autochtones a également été dénoncée par certains commentateurs concernant les réparations prononcées par la Cour interaméricaine. En effet, les juges interaméricains ne mobilisent pas de méthode spécifique pour le calcul du quantum de la réparation monétaire des dommages subis par les peuples autochtones et ont tendance à dévaluer la valeur marchande du foncier autochtone sur le fondement de critères qui – de manière paradoxale eu égard à leur jurisprudence – n’intègrent que partiellement l’importance que véhicule le territoire dans le maintien du mode de vie des peuples concernés (Antkowiak 2014:64-70). Or, certains estiment que la compensation devrait être, par principe, « plus élevée » et proposent la reconnaissance par les tribunaux – nationaux et internationaux – d’une « prime de valeur culturelle » (« cultural value premium » en anglais) qui permettrait de rehausser la valeur marchande « objective » des terres autochtones et d’augmenter mécaniquement les indemnités compensatoires dues aux peuples dépossédés et déplacés de force (Handl 2002:105 cité dans Antkowiak 2014:70). Cette proposition, à laquelle nous adhérons, n’établit pas pour autant un processus particulier de quantification des dommages culturels, spirituels et transgénérationnels autochtones. Cela illustre les limites du droit dans sa capacité à réparer de manière « adéquate » et « effective » les dommages causés aux peuples autochtones par les déplacements forcés. Il convient ainsi de réfléchir, avec la participation des peuples concernés et de leurs institutions traditionnelles de gouvernance, à l’établissement d’un procédé susceptible de quantifier – du point de vue autochtone – ces dommages spéciaux.

Il pourrait également être envisagé de compléter le panel des mesures de satisfaction qui ont déjà pu être prononcées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme aux fins de préserver « le projet de vie » collectif des peuples autochtones. La notion de « projet de vie », inhérente au système interaméricain, renvoie à « l’épanouissement » d’une personne ou d’un groupe en tenant compte « de sa vocation dans la vie, de sa situation particulière, de ses potentialités et de ses ambitions, lui permettant ainsi de se fixer, de manière raisonnable, des objectifs précis et de les atteindre » (Cour IDH 2017, § 48 ; Cour IDH 1997, § 147). Ainsi, les mesures collectives de satisfaction que la Cour peut accorder aux peuples autochtones déplacés, telles que la constitution de fonds culturels ou la demande d’excuses publiques de la part de l’État fautif, sont susceptibles de participer à la reconstruction de leur projet de vie collectif. Cela étant, ces mesures uniformes sont avant tout « symboliques ».

C’est pourquoi les mesures de réparation prononcées à l’échelle internationale devraient envisager de se nourrir des conceptions autochtones de la « justice restaurative » (« restorative justice » en anglais) qui sont de plus en plus intégrées dans les systèmes judiciaires étatiques, notamment en Amérique du Nord. S’il n’existe pas de définition universellement reconnue de la justice restaurative, celle-ci a classiquement pour objet « de réparer les dommages subis par ceux qui ont été opprimés selon leur propre conception de la réparation » (Mahina Tuteur 2022:71). Ainsi, la « justice restaurative autochtone » renvoie à « un processus de guérison » dont les principes reposent sur les « traditions normatives » des peuples autochtones ayant subi des violations de leurs droits fondamentaux (Hewitt 2016:316). En pratique, cela impliquerait un travail d’analyse et de consultation supplémentaire de la part des organes de protection des droits de l’homme afin de dresser les principes restaurateurs autochtones applicables dans chaque cas d’espèce donné. Plus globalement, l’intégration des modèles de justice autochtones dans l’interprétation des obligations secondaires des États contribuerait au renforcement du processus général de décolonisation du droit international. En effet, le fait autochtone invite aujourd’hui le droit international des droits de l’homme à devenir la pierre angulaire d’une « justice transformatrice » susceptible de sanctionner et, surtout, de remédier aux violations historiques subies par les peuples concernés.

 

Bibliographie

Ouvrages, thèses et articles scientifiques

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Autres

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Mouche-Essers, Lila et Abigail Alvers Murta, 20 septembre 2023. « Touchés par les feux de forêt, les peuples autochtones subissent de graves pertes », ONFR.

[1] Les « déplacements internes » concernent « les personnes ou communautés qui ont été forcées ou obligées de fuir ou de quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel […] et qui n’ont pas encore franchi une frontière d’État internationalement reconnue » ; Commission IDH, Resolución sobre movilidad humana inducida por el cambio climático, Résolution n°2/24, 26 décembre 2024, p. 6.

[2] Pour une étude concernant la signification et les obligations qui découlent pour l’État de la mise en œuvre de ce droit, voir : L. Leriche, L’émergence d’un droit à la vie autochtone, Paris, Pedone, pp. 204 et s.

[3] Request for an advisory opinion on the Climate Emergency and Human Rights submitted to the Inter-American Court of Human Rights by the Republic of Colombia and the Republic of Chile, 9 janvier 2023, p. 12.

[4] Cette réflexion n’a pas pour objet de refléter une vérité absolue ; il est très fréquent que les peuples autochtones souhaitent obtenir des compensations financières à la suite de la violation de leurs droits fondamentaux.

[5] En effet, parmi les auteurs des plaintes déposées devant le Comité des droits de l’homme, on retrouve des individus qui étaient encore enfants au moment où ils ont dû fuir leurs terres et des individus qui sont nés alors que leurs parents s’étaient réfugiés dans la capitale guatémaltèque ; Comité des droits de l’homme, 269 miembros de los Pueblos Indígenas Mayas K’iche’, Ixil y Kaqchiquel c. Guatemala, op. cit., § 13. 16.

[6] Nous reprenons le terme employé par la loi canadienne ; Canada, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, op. cit., art 9 (2).

Auteur :

Luc LERICHE est Enseignant-chercheur contractuel en droit public – Université de Guyane / Chercheur associé à l’IREDIES de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne